Intrépide, téméraire, ne reculant devant aucune intrigue politique, Mahfoud Nahnah est de cette catégorie de personnes qui ont fait l'Histoire. Condamné par l'Histoire à cause de son jeune âge - au 1er-Novembre 1954, il n'avait que douze ans - le cheikh, comme il est coutume d'appeler ceux qui ont fréquenté la medersa, est cette personnalité au verbe choisi et à l'énergie fougueuse pour défendre une cause. Cette figure emblématique de l'islamisme modéré algérien a été toujours aux avant-postes pour dénoncer la «hogra», le «népotisme» et surtout pour s'ériger en défenseur des humbles trahis par une politique mensongère et hasardeuse. Le modernisme chez cet homme se confond avec le respect des dogmes de l'Islam, non pas un Islam conservateur, mais évoluant avec les moeurs. Il est toujours-là, en «complet-veston» pour conquérir cette masse d'intellectuels «francophones», en «gandoura et chéchia» pour ratisser large au sein des masses plébéiennes. Le mot ciselé, le verbe raffiné, la voix haute ou basse, chaude et brûlante, le cheikh rappelle ces grands révolutionnaires qui ont marqué, en leur temps, les révoltes sociales. Interdit d'apprendre la langue du colonisateur, Mahfoud a transgressé cette règle imposée par son père. En 1966, l'université d'Alger et les contacts avec cette junte estudiantine lui ont fait prendre conscience de la lourde tâche qui l'attend: «L'engagement». Là, c'est Malek Bennabi, cette autre personnalité, qui fut sa référence. Mahfoud Nahnah a transcendé la pensée de cet illustre écrivain et a accaparé toute la substance de ses écrits. La prise de conscience devient effective et oriente le cheikh vers une lutte clandestine contre le parti unique, le Front de libération nationale. Une nouvelle voie commence à se dessiner. Le cheikh se retrouvera entre quatre murs pour 15 années de prison. Avec l'avènement de Chadli Bendjedid, le cheikh retrouve sa liberté et son envol pour enfin, arriver à fonder un parti en 1990 (le Hamas). L'orateur génial que fut Mahfoud Nahnah a toujours su dérouter ses adversaires politiques. Les paroles souvent apaisantes de ce «père» attirent des foules et deviennent «sacrées» pour leur simplicité et leur portée. Mahfoud Nahnah a réussi à bâtir autour de lui une «palissade» idéologique et politique, jalouse d'une vie meilleure qui sera offerte demain au peuple. Mais la mort a attendu cet homme. Six décennies de longues luttes ont laissé des traces indélébiles qui ont eu raison de cette personnalité. A soixante ans, c'est l'âge idéal pour conquérir le «trône». La chance n'est pas, cette fois-ci, du côté du cheikh. Des regrets, des amertumes seront l'héritage que Mahfoud Nahnah aura légué à ses élèves. La voie tracée et l'idéal visé par cet homme resteront une page blanche, non écrite que ses fidèles, au rythme des choses, se disputeront et auront du mal à réaliser.