«Je croirais vraiment à la liberté de la presse quand un journaliste pourra écrire ce qu´il pense de son journal. Dans son journal.» Guy Bedos La mort mystérieuse du non moins mystérieux Ben Laden a éclipsé tous les événements annexes. C´est ainsi que je n´ai pas vu passer le Jour de la liberté de la presse, caché par les nuages accumulés au-dessus de la capitale où il est toujours interdit de marcher pacifiquement en groupe, en ligue, en procession. On ne peut célébrer le Jour de la liberté de la presse sans faire une rétrospective du chemin de croix parcouru par les gens qui ont embrassé une profession enviable sous d´autres cieux parce qu´elle y est exercée dans le respect des lois, avec une couverture sociale qui préserve la dignité de celui qui a choisi d´informer ses concitoyens tout en essayant de participer, selon sa culture et selon ses penchants, à la formation d´une opinion publique fortement sollicitée par d´autres canaux: Internet, les nombreuses radios et télévisions, la mosquée et radiotrottoir (ou téléphone arabe) qui jouit chez nous de la meilleure audience pour la bonne raison qu´il ne dépend d´aucune paire de ciseaux. Qu´en est-il des journalistes dans notre beau et pauvre pays? A peine sortis du carcan du système pesant du parti unique et de la langue de bois où les slogans de mobilisation et de désinformation sont plus appréciés que la vérité qui fait mal à l´endroit où sont nichés les intérêts d´une classe et l´amour propre d´un groupe, que les journalistes ont été confrontés au double phénomène d´une liberté échevelée et d´un terrorisme aveugle. Les rescapés de cette douloureuse transition auront à peine le temps de faire une halte que s´abat sur eux une législation répressive castratrice. Sans parler de conditions de travail désastreuses que la multiplication de titres, paradoxe aggravant, n´arrive pas à améliorer. Il serait superflu de faire l´inventaire des tracasseries subies par ceux qui ont osé un jour critiquer le travail ou douter du bilan d´une personnalité qui a le bras long et des moyens de rétorsion dissuasifs. La batterie des représailles est assez étendue: du simple coup de téléphone à un éditeur timoré au lourd couperet de la publicité et le tour est joué, sans parler d´autres pressions plus officielles qui consistent en des visites forcées chez le juge d´instruction. Le pauvre journaliste, qui a pris à son compte les devises de Beaumarchais et de Pulitzer, va alors vite comprendre qu´il ne doit pas mordre qui le nourrit si chichement. Il est alors simplement demandé au plumitif de transmettre au lecteur la simple information des activités présidentielle, ministérielles, de chiens écrasés ou des faits de société. Mais comment écrire sur l´envolée du prix du baril de pétrole répercutée par toutes les agences de presse sans penser à l´indigence de la fiche de paie du salarié qui rêve de voir son revenu talonné et dépassé par les prix des produits alimentaires, suivre de très loin le sprint du sacré baril? Comment écrire sur les activités du ministre de la Santé sans penser aux hôpitaux malades de la mauvaise gestion, à la pénurie des médicaments vitaux ou au parcours du combattant des étudiants en médecine? Comment traiter de la liberté de la presse sans parler de la mainmise de l´Etat sur le poumon de cette liberté: la publicité? Comment parler de la liberté de la presse en l´absence d´un statut du journaliste à l´ère de la pluralité. Les mauvaises conditions de vie de beaucoup d´entre eux ont donné lieu à un nomadisme qui n´existe dans aucune autre corporation. «Cette vie est un hôpital où chaque malade est possédé du désir de changer de lit. Celui-ci voudrait souffrir en face du poêle, et celui-là croit qu´il guérirait à côté de la fenêtre.» Charles Baudelaire.