La lutte contre la drogue préoccupe. Les pays occidentaux accélèrent les concertations afin de lutter contre ce fléau. C´est dans cette conjoncture que nous avons jugé utile de prendre l´avis de Abdelmalek Sayeh, président de l´Office national de lutte contre la drogue et la toxicomanie, afin d´apporter quelques éclaircissements à l´opinion nationale sur ce fléau désastreux. L´Expression: L´Algérie a réussi à introduire, lors de la dernière conférence ministérielle du G8, la lutte contre le cannabis comme élément des discussions qui portaient initialement sur la cocaïne. Quel enjeu représente une telle proposition? Abdelmalek Sayeh: Etant concernée par le transit et la consommation de cannabis, l´Algérie est préoccupée par la lutte contre cette drogue plutôt que par la cocaïne. Même si la consommation de cocaïne commence à faire ses premiers pas, elle reste, néanmoins, très minime pour l´instant. On a recensé 1,8 kg lors du premier trimestre de l´année en cours, contre 1 kg tout au long de l´année précédente. Les pays européens consomment 40% de la production qui est de l´ordre de 900 tonnes. Les Européens sont inquiets plus par la cocaïne, drogue très demandée, que par la consommation de cannabis. Les statistiques parlent de 4,5 millions de consommateurs de cocaïne en Europe. Elle est cultivée en Espagne, en Hollande, en Angleterre, en France et dans d´autres pays. Comme la demande de cocaïne est très forte, la consommation de cannabis ne leur pose presque pas de problème. Ce qui inquiète la présidence française du G8, c´est bien l´arrivée des cartels colombiens et d´Amérique latine dans le couloir sahélien, de la Mauritanie, au Mali et au Niger et même en Guinée-Bissau et le Sénégal. Le G8 cherche à contrôler ce couloir qui va du Brésil à la Guinée-Bissau pour pouvoir intercepter les narcotrafiquants et les neutraliser avant qu´ils n´arrivent dans les pays du Sahel. La France a réussi déjà à les neutraliser grâce au renforcement des mécanismes de contrôle au niveau des frontières à base de radars et de satellites. Le danger pour l´Algérie, si la communauté internationale échoue à intercepter ces cartels, est qu´ils pénètrent au Sahel. Dans ce cas, l´Algérie sera en pleine guerre avec ces réseaux. Cela pourrait bien favoriser une connexion entre ces cartels et les narcotrafiquants maghrébins. Pour vous dire qu´il y a un risque imminent dans ce contexte. Je précise encore que notre priorité, actuellement, est de neutraliser les narcotrafiquants du cannabis et non pas la cocaïne. La présidence française parle plutôt d´une «possible» connexion entre les trafiquants de drogue et les terroristes, une thèse confirmée par les pays africains, notamment l´Algérie. Comment s´établit une telle connexion? Depuis 2007, les cartels ont dispatché les couloirs. Les Colombiens s´occupent beaucoup plus du trafic vers les USA et le Canada. Ils ont partagé les espaces. Actuellement, ils ont déplacé leur «activité» vers le continent africain à commencer par l´Afrique de l´Ouest, la Guinée-Bissau, le Cap-Vert, le Sénégal...etc. La cocaïne est transportée même par des sous-marins vers la côte atlantique africaine. L´énigme consiste dans le déplacement des narcotrafiquants vers le Sahel. De 2009 et 2010, 22.5 tonnes de cocaïne ont été saisies, sur l´ensemble des 240 tonnes ayant transité par l´Afrique. Ces cartels ont une présence en Mauritanie, au Mali et au Maroc. Pour transporter le cannabis vers les pays de Moyen-Orient, les narcotrafiquants font le troc cannabis, cocaïne pour être acheminé vers l´Europe. Le malheur de l´Algérie vient de ce troc, dans la mesure où le cannabis reste en Algérie soit pour le transiter ou pour la consommation interne. En tout état de cause, une partie sera destinée, automatiquement, à la consommation locale. C´est pour cela qu´on recense une augmentation dans la consommation de drogue en Algérie. Le même scénario est applicable pour la cocaïne. Si l´Algérie se transforme demain en un pays de transit de cocaïne, ce sera vraiment le chaos et le grand désastre. La connexion entre terroristes et trafiquants de drogue est avérée. Les narcotrafiquants réussissent à transporter la cocaïne sous la protection des groupes armés. Sur le coût global de la marchandise estimée à 1,6 milliard d´euros, les groupes armés ont eu un gain estimé à plus de 310 millions d´euros. Autrement dit, les narcotrafiquants colombiens ont dû payer plus de 310 millions d´euros aux groupes armés pour leur assistance aux narcotrafiquants maghrébins. Un Boeing 727, a été déchargé sous la houlette de Abou Abd El Karim Malek, de nationalité malienne. A cela s´ajoute l´approvisionnement des terroristes en armes. Le cartel colombien est connecté aussi avec la mafia russe. Il faut savoir que les cartels italien, espagnol, russe ou colombien sont connectés les uns aux autres. Les terroristes profitent, donc, de toute cette situation. L´héroïne est acheminée de l´Afghanistan vers les USA et le Canada via l´Afrique. C´est pour cela qu´on constate l´existence de cette drogue en Libye. Vous avez évoqué une augmentation dans la consommation de cannabis. L´Algérie possède-t-elle les moyens pour gagner cette bataille? En Algérie, les services de sécurité sont très vigilants. Les grandes quantités de cannabis sont destinées à être transitées. C´est ce qui permet aux services de sécurité, tout corps confondus, de mettre en échec la sale besogne des trafiquants de drogue. Les petites quantités, de 20 à 30 kilos, destinées à transiter, sont acheminées à dos de chameaux et de mules. Le désastre pour l´Algérie, c´est que ces narcotrafiquants arrivent à faire entrer en Algérie les mêmes quantités de cocaïne. Le trafic ne cesse d´augmenter. Plus de 17 tonnes de cannabis ont été saisies lors du premier trimestre de l´année en cours. Le nombre de toxicomane est en hausse également. 11.615 nouveaux toxicomanes ont été déclarés et traités par les services sanitaires en 2010. On est passé de 30.000 à plus de 40.000 toxicomanes depuis 1998. Le chiffre est beaucoup plus important, si l´on compte ceux qui ne sont pas déclarés. En 2009 le chiffre était de 7000 cas, ce qui signifie une hausse de 4000 toxicomanes comparativement à l´année d´avant. Cela prouve que la consommation se propage d´une année à une autre. Voilà pourquoi, nous sommes préoccupés par la lutte contre le cannabis. Le département d´Etat américain a salué la politique de l´Algérie en matière de lutte contre la drogue. En tant que président de l´Onlcdt, comment avez-vous accueilli une telle «reconnaissance»? L´engagement de l´Algérie vise à protéger sa population de ce fléau. Nos efforts sont concentrés dans ce souci. Le gouvernement cherche à neutraliser et protéger la société et son économie de ce fléau désastreux. Maintenant que le département d´Etat américain reconnaît les efforts de l´Algérie en matière de lutte contre la drogue et les stratégies mises en place dans ce domaine, je leur exprime ma reconnaissance. Il faut savoir que les Américains ont été justes. J´ai reçu des délégations américaines à l´Office. Je leur ai communiqué des statistiques et des informations qui ont été bien vérifiées. D´un autre côté, je dirais que l´Algérie a toujours honoré ses engagements vis-à-vis des instances internationales, dans tous les domaines.