Demain, Ali Benhadj, l'enfant terrible de l'islamisme algérien sortira de la prison militaire de Blida. Il y aura passé 12 années pleines pour avoir mobilisé, organisé et selon ses détracteurs incité à la révolte contre le système politique en place, une grande partie de la jeunesse algérienne désoeuvrée ou laissée-pour-compte depuis des années. Il retrouvera une autre Algérie complètement différente en termes d'acteurs politiques ou de données sur la société algérienne que celle qu'il a laissée derrière lui, il y a plus d'une décennie. Mais l'effervescence et l'ébullition sociale et non pas politique ou politicienne qui règne au sein de celle-ci sont restées les mêmes cristallisées autour de revendications émanant des dérives de la politique économique sociale ou culturelle poursuivie par les gouvernants. Autrement dit, le terreau fertile qui a présidé à la naissance et à l'ascension fulgurante de l'islamisme algérien est volontairement ou non toujours entretenu. Faut-il rappeler qu'au début des années 1980, peu de facteurs laissaient présager qu'un parti politique islamiste serait dix ans plus tard la principale force politique de l'Algérie indépendante. A l'époque c'est la Tunisie voisine de feu Habib Bourguiba qui apparaissait pour la plupart des observateurs comme la plus indiquée pour l'éclosion et le développement de cette nouvelle idéologie. Certes, l'Algérie offrait aussi à l'époque quelques signes de la présence de ce qu'on appelait alors «les frères musulmans» ou beaucoup plus tard les «barbus». Toutefois, rien ne donnait à penser que ces groupuscules allaient monter en puissance jusqu' à vouloir prendre le contrôle du pouvoir politique dans le pays. En fait, tout au long des années 1980, l'expression de ce mouvement se cantonne surtout au monde universitaire, dans les rangs des petits commerçants et dans quelques mosquées étroitement surveillées. C'est dans ce contexte sociologique et politique dominé par l'omniprésence du parti et de la pensée unique et l'unanimisme de façade que se déroulent d'abord, le printemps berbère d'avril 1980, les manifestations des lycéens et des étudiants d'Oran en 1982, le sit-in des troupes et des dirigeants islamistes près de la faculté centrale d'Alger la même année, les manifestations de la Casbah, et les émeutes de Sétif et de Constantine en 1986. Ensuite, surviennent le procès des militants clandestins du MDA d'Ahmed Ben Bella, en 1985 et les affrontements armés avec les Bouyalistes et leur procès en 1987. Le tout a lieu sur fond de la fameuse crise économique et sociale engendrée par la chute vertigineuse des prix du baril de pétrole en 1986 et ses lots de pénuries et de trafics en tous genres sur les produits de première nécessité dont les populations pauvres arrivaient difficilement à avoir accès. Les ingrédients de l'explosion ainsi réunis, l'embrasement général du 5 octobre 1988, va constituer l'aboutissement d'un cycle de violence urbaine où la mosquée n'était qu'un simple élément d'une dynamique plus générale. A partir de cette date plus rien ne retiendra l'islamisme de prendre son envol en canalisant le mécontentement populaire à des fins de prise du pouvoir politique soit par les urnes, soit par la violence sous toutes ses formes y comprise celle armée. Dans une atmosphère de plus en plus permissive, viendra se concrétiser à la faveur de la Constitution de novembre 1989, la création légale, mais néanmoins pour beaucoup anticonstitutionnelle, du FIS intégriste et de son antithèse le laïc RCD. La violence verbale et physique sera alors de plus en plus utilisée comme moyen d'expression politique dans les débats publics. Intériorisée, intégrée dans des logiques largement partagées, elle sera normalisée et instituée comme manifestation d'une volonté politique. Ainsi, quand le pouvoir parle de violence, de sabotage, et de terrorisme, ce même Ali Behadj, lui rétorque: «Est-ce de la violence que de prescrire le bien et de pourchasser le mal dans les limites des normes.» L'ordre divin est désormais opposé à l'ordre terrestre des hommes et le monopole de la violence donc du pouvoir politique est de facto contesté à ceux qui gouvernent le pays. Mais cette émergence laborieuse de l'islamisme en Algérie n'a pas que des causes internes. Elle a aussi été induite par la conjugaison de plusieurs facteurs exogènes et notamment la complaisance, la manipulation et les interférences des puissances étrangères régionales et mondiales dans les affaires internes d'un pays en chute libre après avoir été un modèle et un leader du tiers-monde depuis son indépendance en 1962.