L'enjeu des joutes entre les deux clans reste, évidemment, la présidentielle de 2004. La classe politique n'a pas eu le temps de passer par un «round d'observation». Dès la libération de Ali Benhadj (en fait, c'est bien lui qui dérange et non plus le vénérable septuagénaire Abassi Madani), elle s'est divisée, délibérément ou par l'incontrôlable mécanique de l'idéologie, en soutien et opposition à toute nouvelle activité politique du trublion, gourou de la jeunesse islamiste urbaine. Le matin même de la libération de Benhadj, les associations des victimes du terrorisme dont les attaches politiques sont à ce point évidentes pour passer inaperçues, défilent devant le tribunal militaire de Blida aux cris de «Benhadj assassin!». Coup sur coup, le président de l'Assemblée nationale et du sénat mettent en garde les leaders de l'ex-FIS et leur «indiquent» les fameuses «lignes rouges» à ne pas dépasser, (la formule «lignes rouges» est tirée d'un lexique militaire récent). Ahmed Ouyahia, Chef du gouvernement, et secrétaire général du RND (Parti à vocation ostensiblement et résolument anti-islamiste) leur emboîte le pas et mieux, pointe un doigt accusateur sur les «générateurs» du terrorisme. Face à ce puissant bloc des «éradicateurs», celui des réconciliateurs bouge, mais lentement, presque avec gêne serions-nous tentés de dire. Le MSP, El Islah, le PT et le FFS se rangent du côté d'une démocratie qui préserve leurs libertés à tous les acteurs politiques, même ceux de l'ex-FIS. Groggy un premier temps, par la virulence des attaques lancées contre Ali Benhadj et le procès-verbal du procureur du tribunal de Blida, confinant les deux leaders du parti-dissous dans un espace d'expression des plus réduits, ces formations politiques vont jouer, à la faveur présidentielle de 2004, la carte FIS pour, d'un côté, affermir leur opposition et d'un autre côté, passer pour les champions de la démocratie face à un pouvoir de plus en plus porté sur les restrictions politiques. Entre les deux camps, deux autres camps observent le bras de fer engagé et dont l'enjeu reste intimement lié à l'échéance de la prochaine élection présidentielle. D'un côté, les islamistes de l'ex-FIS, eux-mêmes, et d'un autre, l'institution militaire, c'est-à-dire les deux principales forces capables de peser sur le cours des événements. Pour le moment, les tenants de l'islamisme radical de l'ex-FIS observent un silence, essayent de colmater les brèches, de recoller les morceaux épars et de résoudre les dissensions internes. La libération de Benhadj peut atténuer les crises internes, mais ne remettra pas pour autant le parti sur les rails de la légalité. Pour l'armée, il s'agira plus de jouer la carte de neutralité dans cette joute politique et de n'intervenir que lorsque la sécurité intérieure sera menacée. Seule, cette tendance exprimée au plus haut cercle de la hiérarchie militaire, peut lui permettre d'asseoir une certaine crédibilité aux yeux de la communauté internationale, très sourcilleuse encore sur la question des interventions militaires dans les affaires politiques. Cependant, on constate que la pression sur l'institution militaire est déjà très grande. Courtisée et crainte par tous, elle semble être délibérément poussée vers le débat politique pour peu que les leaders de l'ex-FIS mettent un seul pied à l'étrier de la vie courante de la société. La sacro-sainte lutte contre le terrorisme a, depuis longtemps, permis de sécuriser les villes et de réguler la vie quotidienne de tout le monde, tout en y opérant des mesures restrictives draconiennes qui ont considérablement réduit les libertés fondamentales. Voilà en fait, le problème qui se pose, ou que l'on veuille bien qu'il soit posé en ces termes: la sécurité intérieure induit une réduction des libertés, et une plus grande liberté de l'activité politique peut ramener le pays aux années terribles de la reddition et de l'insurrection. C'est ainsi que le débat actuel entre éradicateurs et réconciliateurs pose le problème du retour des leaders de l'ex-FIS sur la scène politique.