La «démocratisation» de la région moyen-orientale, suivant les visions américaines, rend plus présent que jamais le péril de l'islamisme politique. Les Américains, qui accumulent faux pas sur faux pas en région moyen et proche- orientale, ont-ils commis quelque nouvelle erreur en encourageant la tenue d'élections en royaume koweïtien? Il faut croire que oui au regard des résultats enregistrés, et qui poussent ce petit pays vers des sentiers pour le moins hasardeux. En effet, les libéraux ont été quasiment éliminés du Parlement koweïtien de même que des anciens de la Chambre, au terme des élections législatives de ce samedi, largement remportées par les candidats islamistes et progouvernementaux. Les résultats du scrutin ont surpris les analystes, ainsi que leurs concepteurs, qui pensaient tous, non sans raisons, que les changements géostratégiques dans la région, consécutifs à la chute du régime de Saddam Hussein en Irak devaient encourager la mouvance pro-libérale de l'opposition au Parlement et favoriser le vote de réformes dans l'émirat. Ce souhait est notamment celui des Américains, présents en très grand nombre dans la région, aussi bien militairement que civilement. Ce sont eux qui ont «pesé» afin que le régime en place aille vers des élections, certes de façade, mais qui étaient censées accélérer la mise en place d'un système absolument pro-américain. Non seulement il n'en a rien été, mais ce vote a confirmé que les injustices qui règnent partout dans le monde, à commencer par cette région, à cause du «fait du prince», encouragent la montée en puissance de l'islamisme politique, avec son corollaire quasi incontournable, le terrorisme. Il apparaît ainsi que les libéraux, proches des Américains, qui comptaient avec leurs partisans huit sièges dans la Chambre sortante, n'en ont gardé que trois. Les autres sièges ont été repris par des candidats islamistes ou progouvernementaux. Les quotidiens koweitiens d'hier s'en sont fait l'écho. «Choc et horreur à l'élimination des libéraux au Parlement», écrit en Une Al-Anbaa, alors que l'Arab Times souligne: «Les libéraux punis, leurs piliers sont tombés». Pour Al-Watan, «L'alliance avec le gouvernement a brûlé les libéraux». Deux autres libéraux connus, Ahmed al-Rubie et Mishari al-Ossaimi, n'ont pas été réélus. Des vétérans de la Chambre représentant les principaux groupes politiques du pays ont également perdu leurs sièges où des députés plus jeunes font leur entrée. Ainsi, Abdallah al-Nibari, l'une des figures de l'opposition libérale et un vétéran du Parlement, se trouve écarté de la Chambre où son mouvement, le Forum Démocratique du Koweït, n'a plus de représentant. En revanche, la principale formation islamiste, le Mouvement constitutionnel islamique (MCI, Frères musulmans) a obtenu deux députés, en perdant trois, dont celui du chef de l'opposition Moubarak al-Douwailah. Mais les pertes du MCI ont été compensées par une victoire du mouvement salafite qui a conservé ses positions avec deux sièges, tandis qu'une formation dissidente de ce mouvement, le groupe salafite scientifique, en a obtenu trois, soit une progression de deux sièges. Parmi les élus, figure l'islamiste radical Walid al-Tabtabaï. Des islamistes indépendants vont également siéger au Parlement. Deux personnalités de l'opposition chiite, Adnane Abdel Samad et Abdel Mohsen Jamal, ont été battues, mais leurs sièges ont été remportés par d'autres islamistes chiites. Voilà qui confirme la montée en puissance de la mouvance islamiste radicale puisque les électeurs, tout en boudant les islamistes dits modérés du MCI ont systématiquement reporté leurs voix vers des courants que l'on sait proches des doctrines développées par Al-Qaïda et son premier responsable, Oussama Ben Laden. Les Américains, qui confirment de jour en jour, ne rien savoir des moeurs de ces régions, accumulant les faux pas aussi bien en Irak que dans d'autres pays et royaumes, semblent cette fois-ci s'être laissés prendre à leur propre piège. Les chiites, eux, sont passés de six députés à seulement cinq. Le nouveau Parlement compte 24 nouveaux députés, tandis que les 26 autres faisaient déjà partie du Parlement issu des élections de 1999. Les islamistes de toutes tendances cumulent 17 députés, et les députés progouvernementaux sont une vingtaine. Le scrutin, pour rappel, est ouvert exclusivement aux hommes de nationalité koweïtienne âgés de 21 ans révolus. 136.715 électeurs, sur une population autochtone de 885.000 personnes (37,7% de la population totale), sont inscrits sur les listes électorales. Le gouvernement koweitien a présenté hier sa démission, qui a été acceptée par l'émir, cheikh Jaber Al-Ahmed Al-Sabah, selon la télévision d'Etat. Un nouveau cabinet devra être formé dans les deux prochaines semaines sur fond de spéculations sur une possible séparation des fonctions de prince héritier et de Premier ministre, cumulées depuis plus de deux décennies par cheikh Saad Al-Abdallah Al-Salem Al-Sabah, à la santé déclinante. Les spéculations, désormais, vont bon train alors que le Koweït est désormais loin d'être sorti de l'auberge.