Nous avons le droit et le devoir de doter l'Algérie de médias efficaces. Modernes. Et capables de parer aux dangers de l'heure. Les journalistes algériens ne sont pas les derniers de la planète à rêver d'un monde meilleur. En cinquante ans d'indépendance, notre pays n'a pas consenti de gros efforts en matière de liberté de la presse. C'est ce qui explique en partie le réflexe rédempteur actuel de tout chambarder. Mais pas celui de «tout changer pour ne rien changer». La liberté de la presse est une revendication de tous les Algériens. Ils veulent s'élever au diapason des exigences du nouveau monde. C'est ce que l'on pourrait appeler une ambition de bon aloi. Avoir de l'ambition pour la presse, c'est vouloir donner à son pays de nouvelles chances de prospérer. Classe politique et journalistes confondus convergent désormais sur l'urgence de ce que l'on pourrait qualifier d'une exigence vitale de l'heure. Mais le diagnostic de notre presse est loin d'être réconfortant. Nous avons une presse malade. Hémiplégique. Elle ne regarde que d'un seul côté. Jamais le pouvoir n'a jugé bon de venir à sa rescousse. Si ce n'est, dans certains cas minimes, reconnaissons-le, d'avoir cette tentation de la mâter. Or, la presse existe pour déranger. Pour critiquer. Pour assumer son rôle de contre-pouvoir face à tous les abus, à commencer par les personnes qui tiennent les manettes du pays. La démocratie suppose une presse libre. Le monde change. Et il change vite. Le pouvoir doit comprendre que, sur ce chapitre, il ne pourra plus jouer au vieil inquisiteur qu'il a été. Les temps où l'on se plaisait à sataniser la presse sont bien révolus. Ce dimanche, le Président Bouteflika songera, lors des débats avec ses ministres, à l'idée qui veut qu'un pays sans presse libre enfante inévitablement un peuple orphelin. La loi ne vaut que par les législateurs qui la pensent et les hommes qui l'appliquent. Et celle que nous désirons pour notre presse nationale doit répondre aux desiderata du peuple. Une presse ne doit pas effaroucher lorsqu'elle est tentée quelquefois de jouer au contre-pouvoir. C'est sa vocation naturelle dans un système démocratique. Parce que maintenant, il n'y a pas d'autres règles de jeu. C'est à prendre ou à laisser. Le journaliste doit s'attaquer à l'impunité des grands, sinon il aura enterré de lui-même la liberté de la presse. Certains dirigeants de ce pays, quand il s'agit de libertés, parlent comme des démocrates, mais en réalité, ils se comportent comme des staliniens. Pour nous, ce n'est pas négociable. Depuis l'ouverture des médias au lendemain des événements d'Octobre 1988, la justice a été répressive, et parfois d'une manière excessive, à l'encontre de mes confrères dont moi-même qui ai été dépossédé du titre Liberté. J'ai été jugé plus de 110 fois pour des délits de presse. J'ai été relaxé plus de 80 fois et condamné à des amendes «symboliques» pour le reste. Pourquoi tout ce gâchis? Le monde nous observe. En 2011, un journaliste bâillonné, c'est un crime perpétré contre tout un peuple. La morale internationale n'a pas fini de s'insurger et de condamner ce procédé. La «révolution de Facebook» a fait le reste. Voyez ce qui se passe dans le Monde arabe. Voyez comment les médias occidentaux instrumentalisés par leurs gouvernements ont déclenché une offensive médiatique sans pareille contre des régimes arabes, hier combien réputés pour leur stabilité. Et concluez de vous-mêmes combien aussi cette arme dangereuse pourrait se retourner demain contre nous! La dépénalisation de la presse est un droit que nous revendiquons. Pour le bien de l'Algérie. Il faut nous prémunir contre ce mal et de cette dangereuse désillusion des peuples abusés dans leur bonne foi par des médias étrangers capables de pulvériser des nations entières. La collusion entre France 24, Al Jazeera et El Arabia a suffi, en quelques jours seulement, à changer le cours de l'Histoire dans le Monde arabe. La Tunisie, l'Egypte, le Yémen, la Syrie et la Libye viennent de faire les frais de cette folie meurtrière de Cheikh Hamed et consorts. 300 millions d'Arabes ont fini par basculer dans l'hallucination générale. Le Qatar, dont la superficie, pour pasticher El Gueddafi, ne dépasse pas la grosseur d'un pois chiche, s'est transformé grâce à la puissance de feu d'Al Jazeera en Etat dominant du Monde arabe. Cela nous rappelle, a contrario, la célèbre phrase de Staline: «Le Vatican, c'est combien de divisions?» Nous aussi, nous avons le droit et le devoir de doter l'Algérie de médias efficaces. Modernes. Et capables de parer aux dangers de l'heure. Le système mondial actuel de la médiocratie, tel qu'il fonctionne, nous l'impose si nous nous attachons à assurer notre survie. Notre destin national est désormais lié à l'option d'une nouvelle voie en matière de communication de masse. Vous comprendrez, Monsieur le Président, que maintenant le danger, pour nous Algériens, ne réside pas dans le choix d'ouvrir les médias et de favoriser une montée de qualité médiatique, mais de maintenir le statu quo. Faisons en sorte que l'avant-projet de loi sur l'information soit crédible, imaginatif, innovant pour qu'il ne ressemble pas à de la vaisselle ébréchée. Seulement pour réussir ce pari difficile, il ne faudrait surtout pas que nos médias deviennent la proie de prédateurs, c'est-à-dire les puissances d'argent. En lançant votre campagne en avril 1999, vous disiez que vous ne vouliez pas d'un Berlusconi en Algérie. La seule manière de contrer ces puissances d'argent serait, à mon avis, de défendre le droit du journaliste de s'exprimer librement et de le soustraire à l'influence de ces forces du mal. Tous les titres de journaux, toutes les licences de création de radios ou de télévisions doivent être et rester la propriété exclusive des journalistes. Le richissime Rothschild et le bien connu Pierre Berger ont investi dans les quotidiens Libération et Le Monde, mais les titres et leur ligne éditoriale leur échappent totalement. Je sais combien vous êtes attentif au frémissement de l'opinion. Vous étiez et vous restez un Président de proximité. Comprenez que ce qui mine l'avenir de notre presse, c'est l'argent des groupes économiques. Ils sont capables de mettre en péril la stabilité de ce pays. Certains parmi eux ne l'ont-ils pas amplement démontré, en janvier 2011, lors des émeutes, en demandant à des directeurs de journaux, en échange d'offres de publicité, de ne plus écrire sur les émeutes de l'huile et du sucre, mais tout cruellement... les émeutes de produits alimentaires. Bilan: des centaines de blessés, des dizaines d'entreprises incendiées, l'Etat et sa crédibilité mis à mal tant à l'intérieur qu'à l'étranger. Cela renseigne éloquemment du «bien» que veulent ces gens à l'Algérie. Sachez aussi que sur 85 journaux, au moins 60 sont la propriété aujourd'hui d'individus n'ayant aucun lien avec la presse, si ce n'est l'appât du gain que leur procure la publicité de l'Anep. A peine une dizaine de titres peuvent se targuer d'avoir un tirage supérieur à 10.000 exemplaires. Ils appartiennent, bien entendu, à des professionnels. De vrais. Pour nous journalistes, «vivre désormais, c'est apprendre à ne pas gémir».