Autant son discours radical faisait trembler, autant, aujourd'hui, son mutisme nourrit les appréhensions. Quatre semaines après sa libération, le n°2 du FIS dissous garde toujours le silence. Entendons-nous bien : le silence est synonyme ici de s'interdire de parler aux médias, aussi bien nationaux qu'étrangers, et de s'exprimer publiquement sur des événements, politiques ou autres, et encore moins de parler de ses douze années passées en prison et des personnalités politiques et militaires qui avaient essayé de le persuader à souscrire à quelque position politique que ce fût. Hormis ces expressions dont la teneur politique demeure, du reste, intéressante à entendre, Benhadj est libre de recevoir des gens chez lui, de se déplacer, de rencontrer ses anciens compagnons et d'écouter les parties qui, au sein des structures du parti dissous, s'étaient déchirées à belles dents durant ces dernières années, et d'essayer d'y remédier. Premier résultat: il a déjà réussi à faire taire les voix discordantes qui s'opposaient les unes aux autres, et s'il n'a pas encore résolu le problème des structures existantes et dont la lutte pour le leadership a fait éclater les représentations internes et externes en plusieurs factions politiques rivales, il a déjà le mérite d'avoir regroupé autour de lui ses «frères-ennemis». Les Kebir, Ould Adda, Mourad D'hina, Djeddi, Boukhamkham, Guemazi et tous ceux qui, hier, se lacéraient à griffes pointues se regroupent aujourd'hui autour de lui et oublient leurs querelles, en attendant qu'il tranche définitivement leurs différends, car il faut bien s'entendre sur une chose: c'est bien lui - et non Abassi Madani, ni aucun autre - qui détient le pouvoir réel au sein de la nébuleuse islamiste de l'ex-FIS. Son salafisme pur et dur, son attitude d'ascète incorruptible venu d'un autre âge et son influence auprès des islamistes radicaux sont, à ce point, déterminants pour en faire le référent doctrinal et la source même de l'islamisme underground, bien que souvent son manque de réalisme politique le confine souvent à jouer les seconds rôles dans les prises de position. C'est d'ailleurs sur injonction de ses compagnons qu'il a «consenti» à s'imposer, momentanément, le silence. Les autorités avaient pu mesurer son impact sur les foules, après douze ans d'emprisonnement. Partout, à Belcourt, au clos-Salembier, à Kouba et dans les endroits où il est allé, les foules s'agglutinaient pour le voir. Gourou de la jeunesse islamiste pauvre, il garde encore intacte sa popularité malgré toutes les restrictions dont il fait l'objet. Surveillé à chaque pas qu'il fait par un dispositif de sécurité discret, mais important, le moindre de ses actes est rapporté aux responsables de la sécurité intérieure (aussi bien, ceux du ministère de l'Intérieur, de la Sûreté nationale que des services spéciaux) interprété, jugé et jaugé. L'homme qui constitue, depuis vingt ans déjà, la hantise des ser-vices de sécurité ne pourra, en aucune manière, être considéré par les tenants du néo-sécuritaire algériens comme un simple «vendeur de persil». Certains journaux avaient rapporté, il y a quelques jours, que Benhadj s'était «recyclé» dans la vente de persil dans le quartier populaire de Ben Omar, à Kouba. Cela avait donné lieu aux sarcasmes les plus pointus. Les moins avisés des responsables de la sécurité intérieure y avaient trouvé matière à sourire et pensaient que, enfin, Benhadj était réduit à «sa plus simple expression» et, en fait, qui lui colle le mieux à la peau, celle d'un «petit vendeur de quartiers malfamés». Cependant, les plus aguerris des responsables militaires et politiques redoutent que le silence observé par le gourou de la jeunesse islamiste urbaine ne soit l'équivalent du temps donné aux lobbys islamistes pour peser de tout leur poids sur le pouvoir afin de l'infléchir sur la question des droits de l'Homme et permettre ainsi à Benhadj de s'exprimer librement. Et lorsque ce dernier commencera à parler, les choses commenceront à bouger. Si les ramifications de l'ex-FIS à l'étranger ont déjà commencé un véritable travail de titans auprès des ONG spécialisées dans les droits de l'Homme, de l'ONU et des institutions politiques les plus influentes (bien que le contexte induit par l'après-11 septembre ne soit pas très favorable à ce jeu de lobbying), il est à attendre que le climat intérieur s'ouvre un peu plus sur les libertés politiques. L'élection présidentielle de 2004 va permettre à chacun des candidats de faire des promesses allant dans ce sens précis. Ce dont pourrait profiter Benhadj.