Le chef de l'Etat semble vouloir jouer une nouvelle carte électorale en accordant sa priorité à la question des droits de l'Homme en Algérie. Finalisé depuis plusieurs semaines déjà et attendant sagement sur le bureau du premier magistrat du pays, le rapport de la commission Ksentini a fini par être évoqué officiellement par le biais d'un communiqué présidentiel rendu public hier. Le Président Bouteflika, en effet, a annoncé avoir confié à un mécanisme ad hoc une mission «temporaire» de prise en charge de la question des «disparus». Dans le même temps, il a chargé le gouvernement d'élaborer un plan national pour la promotion des droits de l'Homme, le tout sur la base des recommandations contenues dans le rapport de la Commission nationale de promotion et de protection des droits de l'Homme (Cncppdh) que préside Farouk Ksentini. Le Président de la République a également pris la décision de confier à un mécanisme ad hoc, adossé à la Cncppdh, une mission «temporaire» de prise en charge de la question des «disparus». Le mécanisme envisagé, précise le communiqué, «ne doit pas être conçu comme une commission d'enquête, ni comme substitut aux autorités administratives et judiciaires compétentes», mais comme un «centre de gestion et une interface» entre les pouvoirs publics et les familles des personnes portées disparues. Ce dossier, qui traîne depuis plus de dix ans, ne cesse d'achopper sur la détermination des familles des disparus qui veulent connaître la vérité sur ce qui est arrivé à leurs enfants avant d'accepter de clore définitivement cette affaire. Deux associations principales, l'Anfd et SOS Disparus militent en ce sens avec des moyens et des concepts différents depuis de nombreuses années. Les deux organisations demandent à voir avant de se prononcer sur ces nouvelles mesures. Elles n'oublient pas, en effet, les promesses faites par l'ancien Président et la manière dont a agi par la suite le ministère de l'Intérieur à leur égard. «Le manque de volonté politique de résoudre cette question, estiment des animateurs de l'Anfd joints hier par téléphone, réside bien dans le fait que l'agrément nous soit toujours refusé alors que nous nous sommes scrupuleusement conformés aux textes de loi en vigueur.» Des sources proches de la commission, quant à elles, indiquent que «le Président aura la volonté politique nécessaire d'aller jusqu'au bout cette fois-ci. Il compte, en effet, en faire, un des objets phares de sa prochaine campagne électorale puisque la question des droits de l'Homme en général, et celle des disparus en particulier, demeurent très sensibles au peuple algérien qui a longtemps souffert d'abus divers de la part de différents responsables et commis de l'Etat». Le président, qui souhaite réussir son coup à tout prix, a pris le soin de ménager ceux que l' «exhumation» de ce dossier pourrait déranger au point de s'y opposer farouchement jusqu'à le faire avorter. Bouteflika, dans son communiqué, souligne en effet que cette question ne saurait être «objectivement» appréhendée si elle venait à être «isolée» du contexte historique qui a vu l'irruption dans notre société d'un «terrorisme sanglant, d'une barbarie sans pareille à travers le monde». L'autre preuve est bien le fait que le communiqué prenne le soin de préciser que ce mécanisme n'a aucun pouvoir administratif ou judiciaire. Les pouvoirs publics ont assuré, à ce jour, le traitement de cette question dans le cadre des dispositifs législatifs et réglementaires ordinaires, rappelle le communiqué, sans préciser que ces dispositifs ont surtout consisté à étouffer les dossiers, empêcher souvent les familles de se regrouper et tenter de les faire taire définitivement en les payant. «Conscient de la dimension humaine que revêt ce dossier douloureux», ajoute le communiqué, le Président Bouteflika estime que «l'Etat doit aujourd'hui assumer ses responsabilités avec sérénité et détermination» et «affronter résolument cet autre aspect de la tragédie nationale». Le communiqué précise que le Président Bouteflika, après avoir pris connaissance du plan national d'action pour les droits de l'Homme en Algérie, a décidé de transmettre ce document au gouvernement pour «analyse, évaluation et exploitation» en vue de la préparation d'un plan national pour la promotion et la protection des droits de l'Homme. Sur cette question, des sources proches de la commission, sur la base d'éléments palpables, fournis par les ONG admises de nouveau en Algérie depuis l'arrivée de Bouteflika à la tête de l'Etat algérien, déclarent que «beaucoup d'avancées ont été réalisées en ce sens, quoiqu'il reste encore une infinité de choses à faire». Il est à rappeler que ce plan d'action, que d'aucuns qualifient d'«ambitieux», a été élaboré par la commission que préside Farouk Ksentini conformément à la lettre de mission dont elle a été rendue destinataire en avril 2002.