Avec 300 personnes hospitalisées, la plaine Est de la Mitidja a vécu un début de semaine cauchemardesque. Lorsqu'on arrive à Bougara, on reste encore émerveillé par la beauté de cette petite ville «très française» et dont les allées, les grandes rues et ruelles ont gardé à ce jour tout le style colonial d'antan. Des orangers bordent encore les lisières des routes, l'église est encore debout (un miracle dans cet ancien fief du GIA entre 1992 et 1997) et les champs, immenses vergers centenaires, sont encore là pour rappeler la belle époque de la plaine de la Mitidja, vaste terre agricole fertile et féconde. Seulement voilà, ce n'est pas pour admirer ces sites que nous sommes à Bougara, mais parce qu'une grave épidémie, due à une intoxication, a nécessité l'hospitalisation de près de 300 citoyens à Bougara et ses environs, Chebli, Hamoul, Ouled Slama et Hammam-Melouane. Dès notre arrivée, on est vite orienté vers le centre polyclinique de la ville, où une cellule de suivi et de dépistage a été installée. Nous avons été devancés par le capitaine Tayeb du groupement de la Gendarmerie nationale de Larbâa. En fait, même les autorités militaires sont concernées au plus haut degré par le suivi de cette épidémie à grande échelle. Selon le docteur Abdelhamid Ourari, directeur du secteur sanitaire de Meftah, «le fléau a été stoppé et il n'y a plus de raison de céder à la panique». Avec force arguments et documents à l'appui, il nous explique le travail des dix équipes spécialisées qu ont investi le terrain, très tôt hier: «Ces équipes sont chargées de collecter les indices et de les ramener pour analyses. Chacune est responsable d'un périmètre, d'un quartier bien délimité, afin que tout Bougara soit passé au peigne fin, parce que c'est bien à Bougara, et non pas ailleurs, que l'épidémie a eu lieu.» Mais est-ce bien la bactérie de la salmonelle? «Oui, certainement, répond le docteur Ourari, nous l'avons diagnostiquée. Reste à savoir d'où est-elle venue: les oeufs? La volaille? Peut-être. Mais peut-être aussi du beurre. On reste donc prudents, circonspects, et d'ici à demain nous pourrons dire avec exactitude quelle a été l'origine de l'infection.» Le docteur tient à dire encore deux choses: «Je tiens à rappeler que l'hygiène est une condition pour stopper le fléau et éviter toute nouvelle attaque bactérienne. Aussi, les gens doivent faire attention à ce qu'ils mangent, à ce qu'ils boivent, à leur hygiène quotidienne. Je veux aussi dire à la population de Bougara que le fléau a été stoppé et que des équipes sont en place pour préciser l'origine de l'aliment responsable de l'intoxication.» Ce que le docteur n'ose pas, par décence, dire, c'est que la région est, à ce point, misérable, indigente et «sale» pour inciter encore à toutes les appréhensions imaginables. Si, pendant l'hiver, la propreté est sans faille - la plaine de la Mitidja est abondamment arrosée par une pluie régulière - l'été est sec, la chaleur accablante et l'eau très parcimonieuse, même dans les robinets. Cette région d'agriculteurs grouille de bactéries et de microbes qui s'activent sous ces grandes chaleurs dans les grands souks hebdomadaires. La misère sociale y est affichée et l'indigence des petites gens manifeste. A Hammam-Melouane, les enfants s'accrochent à votre cou jusqu'à ce qu'ils vous vendent un oeuf à 10 dinars la pièce. A Hamoul, on ne rencontre que des tas d'immondices entassés là depuis la nuit des temps, et ni l'eau ni l'électricité ne sont encore à la disposition des habitants. Des régions moyenâgeuses comme celles-ci, il en existe encore des centaines dans une Algérie qui a la prétention de coller au IIIe millénaire. Et on ne peut, dès lors, s'étonner du retour triomphal de maladies comme la peste, la rage ou la typhoïde.