Elles ne sont que 7% à être tête de listes pour le scrutin historique d'aujourd'hui, et sont restées discrètes pendant la campagne électorale. En Tunisie, les femmes ont obtenu depuis de longues années un statut que leur envient beaucoup de leurs consoeurs du Monde arabe: droit de vote, droit à l'avortement, au divorce, interdiction de la polygamie et une égalité constitutionnelle entre les sexes. Ces acquis, imposés à marche forcée par le père de l'indépendance (1956) Habib Bourguiba, s'enracinent dans la pratique ancienne d'un islam tolérant, dans un pays où cohabitent encore sans heurts musulmans sunnites majoritaires et minorités kharéjite, juive, chrétienne. Dès le IXe siècle s'est répandue dans le pays la pratique du «mariage kairouanais», du nom de la ville de Kairouan dont l'école islamique rayonnait alors dans toute l'Afrique du Nord, et qui interdisait à l'homme de prendre une deuxième femme, rappelle l'historien Alaya Allani. Le vent de liberté de la révolution a fait ressurgir les voiles, noués traditionnellement sur la nuque dans les campagnes ou sous le menton (hidjab), mais a aussi vu apparaître le niqab, voile intégral ne laissant entrevoir que la fente des yeux. «C'est mon choix, nul ne devrait pouvoir m'imposer de porter ou de ne pas porter un habit», affirme Rahma, chômeuse de 24 ans en hidjab. La question du statut de la femme, comme celle des minorités religieuses, sera centrale dans les discussions entre les 217 membres de l'Assemblée constituante qui sera élue dimanche et dont la principale tâche sera de rédiger une nouvelle Constitution. Ennahda s'est engagé à ne «pas toucher» à ce statut, a répété qu'il ne voulait pas renvoyer les femmes dans leurs foyers. Mais certaines de ses déclarations sur la revalorisation des mères au foyer, sa volonté d'installer un grand ministère de l'Education, ont inquiété le camp des démocrates de gauche et du centre. Déjà, dans certaines classes, des enseignants islamistes ont séparé les garçons et les filles, tandis que d'autres promettaient pour bientôt de nouveaux manuels scolaires, pour rétablir «la vérité», selon plusieurs témoins. Vendredi soir dans son dernier meeting de campagne, Maya Jribi, secrétaire générale du PDP (centre-gauche) et seule femme à diriger un grand parti, a exhorté les femmes à voter en masse. «Par leurs voix, les femmes peuvent faire basculer la balance. Nous avons besoin des voix de tous ceux qui sont pour la modération, contre les extrémismes et les forces rétrogrades», a-t-elle dit. L'historien Fayçal Chérif croit en la capacité de résistance d'une population qui n'acceptera pas qu'on tente de revenir sur une émancipation actée «dès les années 30, quand le théologien Tahar Haddad considérait l'oppression des femmes comme non conforme aux valeurs de l'Islam». Les femmes ont obtenu le droit de vote dès 1956 et ont commencé à intégrer l'armée et la police la même année. «Pour nous c'est naturel, dit M. Chérif. Cela ne nous dérange pas de monter dans un taxi conduit par une femme ou de monter dans un avion piloté par une femme».