Il est des carrières politiques qui perdurent à n'en plus finir, mais dont la fin, quand elle frôle la brutalité, laisse parfois pantois. L'exemple type au Maghreb de ces cinquante dernières années, est celui de Habib Bourguiba qui, non sans doigté, a été relevé de ses fonctions le 7 novembre 1987. Désigné par son parti en commun accord avec la France comme président du conseil avant d'être élu comme candidat unique, à la magistrature suprême quelques mois plus tard, Habib Bourguiba a été adoubé en 1955. Le roi est mort, vive le roi! Formule consacrée dès le Moyen-Age, elle n'a pas de racines profondes au Maghreb ni ailleurs dans le tiers-monde d'ailleurs. Bourguiba a déposé de son piédestal doré par Zine El Abidine Ben Ali, le peuple tunisien, qui avait spontanément applaudi ce dernier, avait du même coup espéré plus de liberté, de démocratie et davantage de bien-être. La Tunisie a-t-elle gagné au change? Ce n'est pas notre propos, mais la technique avec laquelle le président Ben Ali avait procédé a fait courir nombre de politologues en Tunisie pour en comprendre la nature. Bref, Bourguiba, déposé par celui qu'on a toujours qualifié de «fils spirituel», a laissé derrière lui un Etat (n'était avant lui celui des Hafsides, on aurait pu dire construit de ses mains). Accusé de sénilité par son propre détrousseur, il semble que le «combattant suprême» ne lui a pas tenu rigueur. Le président Ben Ali dirige aujourd'hui un pays en pleine croissance. Les Tunisiens trouvent aujourd'hui du travail dans leur propre pays sans recourir systématiquement à l'émigration. Et c'est tant mieux pour eux. Mais peut-on dire qu'ils ont gagné au change? Il semble bien que oui en dépit de ce qu'ils pensent, en aparté, de la main de fer de Zine El Abidine. L'Algérie peut-elle se permettre de remplacer au pied levé un président qui, contrairement à ce qu'on croit à l'étranger, serait un rapide de la gâchette. Et d'abord, selon quelle procédure? Si c'est celle qui avait été utilisée pour évincer Chadli Bendjedid, pourquoi pas si ça doit ramener le calme. D'abord parce qu'elle reflète un certain degré de civilisation et qu'elle est, de loin, préférable à l'assassinat par lequel Boudiaf avait été éliminé. Alors que resterait-il à faire maintenant que le Président de la République fait non seulement feu de tout bois pour briguer un second mandat, mais alimente celui-ci par toutes sortes de violations de la Constitution que seul un contre-pouvoir établi et reconnu par cette dernière pourrait stopper. Or chacun sait que depuis l'Indépendance, la notion de contre-pouvoir qui permet aux institutions de l'Etat d'agir dans l'harmonie entre elles, n'a jamais effleuré le législateur algérien. Les conséquences de cette carence qui fait surtout défaut au peuple pour se protéger des abus que peuvent lui opposer ses dirigeants en actionnant les immenses prérogatives que leur offre la Constitution, certains élus, le Président de la République en tête, devraient pouvoir être stoppés dans leur schizophrénie quelles que soient les circonstances. On a récemment appris qu'après avoir échoué dans le registre des déprédations que ses hommes de main ont fait perpétrer dans différentes permanences du parti du FLN à travers le territoire national, que le Président de la République serait sur le point de préparer un autre coup fourré dont l'objectif serait de dissoudre l'APN. Une chose est sûre, un chef d'Etat, en manque flagrant d'inspiration comme l'est aujourd'hui Abdelaziz Bouteflika, est capable du pire pour conserver le pouvoir. Et encore une fois, on a oublié de mentionner noir sur blanc le contre-pouvoir au moins pour pouvoir protéger et les partis politiques des abus du Président de la République et la population des excès de bile que cette sorte de dirigeants pourrait fomenter contre elle. Diriger un pays c'est faire certes de la politique à grande échelle, mais à condition de ne pas ignorer que les excès et les conséquences qui peuvent en découler ne sont pas perdus pour tout le monde. Car, qu'on le veuille ou non, un seul sens est admis universellement à propos de la politique : c'est celui de l'art du possible. Sans être contraint d'aliéner ses capacités d'arbitrage, on s'est demandé si l'Armée était en mesure, par les temps qui courent, de protéger les partis politiques comme le FLN. Si c'était le cas, ce serait rendre un grand service au pluralisme et à la démocratie, un espoir auquel toute armée moderne aimerait voir se matérialiser sous ses yeux.