Trop de clans ont intérêt à faire taire la presse pour ne pas dévoiler d'autres scandales. Telle est la question que se pose le commun des mortels depuis que la menace de suspension a plané sur six quotidiens nationaux comme l'épée de Damoclès. Une question qui s'impose d'elle-même tant les événements vont crescendo. La vox populi attribue cette décision unilatérale au Président de la République lequel, selon certaines informations, s'est senti sali par les révélations faites justement par la presse indépendante au sujet des dépassements qu'auraient commis de hauts cadres de son entourage et des membres de sa famille. La raison avancée, comme quoi il s'agissait d'une affaire commerciale, est désormais sans fondement du fait que des éditeurs ont déjà apuré leurs comptes et que d'autres sont prêts à se libérer de leurs dettes pour peu que l'Anep paye ses créances. En outre, le fallacieux prétexte de commercialité ne tient nullement la route. Selon des sources bien informées, le cas des journaux, aujourd'hui sous le coup d'une suspension déguisée, était à l'ordre du jour d'un conseil restreint du gouvernement la semaine dernière. Des sanctions politiques étaient alors prévisibles pour arrêter le déballage sur la voie publique des scandales qui mettent en cause des personnalités dirigeantes. Il a donc été décidé d'agir au plan commercial pour obliger les titres à «se taire». C'est ainsi que la décision d'obliger les six journaux à s'acquitter de leurs dettes malgré les contrats liant les éditeurs aux imprimeries a été prise lors de la réunion, citée plus haut, qui a regroupé les ministres de l'Intérieur, Yazid Zerhouni et de la Culture et de la Communication, Khalida Toumi, sous la présidence du chef du gouvernement Ahmed Ouyahia. La méthode américaine semble avoir fait des émules dans le clan du pouvoir qui en a usé pour mettre les titres à l'ordre, sinon au pas. De ce fait, en cautionnant cette démarche, le Président de la République a tenu à rappeler qu'il entendait rester le seul maître à bord. Une suggestion faite apparemment par son chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, qui s'est toujours défini comme l'homme des «sales besognes». Mais apparemment, Ouyahia a induit le Président en erreur. En voulant bien faire, Ouyahia, inconsciemment ou délibérément, a surtout mis le président dans de «beaux draps». En effet, les «six» journaux en question sont, pour la plupart, hostiles au chef de l'Etat, comme a tenu à le rappeler un collègue. Certes en réduisant ces six quotidiens au silence, le Chef du gouvernement n'a voulu que rendre service au président dans la perspective de la prochaine présidentielle. D'autant que ces titres se sont donné le mot de réduire à néant les ambitions de briguer un second mandat à celui qui n'a pas hésité un jour à déclarer dans les colonnes d'une presse... étrangère, cela va de soi, car la presse algérienne il la méprise, au mieux réduite à chanter ses louanges: «Je ne sais pas faire autre chose que de gouverner le peuple algérien». Malheureusement pour lui, cette même presse est alimentée en scandales par des clans du pouvoir qui lui sont hostiles. Une donne dont le président, dans sa quête de la démesure, n'a pas tenu compte. Mais comme dit l'adage «qui châtie par l'épée moura par l'épée». En effet à y voir de près, cette décision arbitraire de suspendre six quotidiens risque de retourner contrer lui l'opinion nationale et internationale et ameuter une corporation devenue hostile à son égard. De fait, le général à la retraite Mohamed Betchine, ancien conseiller du président Liamine Zeroual, et Mohamed Adami, ancien ministre de la Justice, en savent quelque chose pour en avoir fait l'amère expérience.. Au bout du compte, la décision de suspendre les journaux s'estompera d'elle-même et les journaux réapparaîtront plus déterminés que jamais à faire leur travail d'information quitte à mécontenter encore une fois Bouteflika. En outre, l'idée que cette suspension est dictée par le fait que cette même presse est acquise à Ali Benflis, Secrétaire général du FLN, n'est pas sans fondement. En effet le pouvoir public n'aurait pas toléré qu'une certaine presse ait changé de fusil d'épaule. D'autre part, l'approche de la présidentielle d'avril 2004 y tient un rôle prépondérant. Avec cette mesure de suspension, le clan de Bouteflika tend à mettre au pas la presse opposée à sa réélection. Mais cela ne veut nullement dire qu'elle est acquise à son antagoniste direct. Il est évident que le timing et le ciblage de cette menace de suspension ne sont pas le fruit d'un hasard. En menaçant de recourir à la sanction économique, le pouvoir vise de toute évidence à réduire des voix adverses et à lancer dans le même temps un avertissement sans frais à ceux qui seraient tentés d'en prendre le chemin. Mais il reste une donne que le pouvoir n'a pas pris en considération avant d'opter pour cette mesure radicale. En effet, le pouvoir s'est lancé dans ces joutes sans prévoir la réaction de la communauté internationale. D'ailleurs, la France par l'entremise, de Cécile Pozzo Di Borgo, porte-parole adjointe du ministère français des Affaires étrangères, a été la première à réagir en déclarant «La France souhaite qu'une solution respectant la liberté de la presse soit trouvée en Algérie où six quotidiens sont empêchés de paraître après un ultimatum des imprimeries d'Etat qui leur réclament le paiement de leurs dettes». Une mise en garde qui aurait du être assimilée à une ingérence. Autres temps, autres moeurs. En filigrane, la France, membre influent de l'Union européenne, se fait un devoir de rappeler, en des termes à peine voilés, à Alger qu'elle doit respecter les droits de l'Homme, si elle prétend établir des liens commerciaux avec l'Union européenne. Cette déclaration s'apparente à une mise en garde dans la perspective de l'adhésion de l'Algérie à l'OMC, d'autant plus que la France s'est déclarée l'avocat de l'Algérie. En attendant, la réaction des Etats-Unis, les six quotidiens suspendus continuent de subir des pertes. Et c'est toute la démocratie algérienne qui en prend un «sale» coup. En outre cette même presse à l'instar de l'opinion public peut opter pour un vote sanction en soutenant un autre candidat. L'autre question qui tarabuste l'esprit est de savoir si cette suspension profite seulement à Bouteflika. En effet il est reconnu qu'au sein du pouvoir plusieurs clans opposés y végètent. De ce fait il est aisé de déduire que ce sont ces clans qui ont actionné la machine de peur de voir leurs affaires étalées sur la place publique. Sinon comment interprêter le silence du ministère de la communication sur le sujet?