Chaque jour se lève un peu plus le voile sur les implications de Downing Street dans les manipulations du dossier irakien. Le Premier ministre britannique, Tony Blair, dont la notoriété est en chute continue, (selon un sondage de l'institut ICM publié samedi dernier, 67% des Britanniques estiment avoir été trompés par Tony Blair sur les ADM attribuées à l'Irak) doit s'expliquer demain devant la commission d'enquête du juge Brian Hutton dans le cadre de l'affaire du suicide apparent de David Kelly, expert britannique des armements irakiens. En effet, le Premier ministre britannique est mis au pied du mur par les révélations en cascades sur le dossier des armes irakiennes de destruction massive et sur la manière avec laquelle Downing Street - siège du Premier ministère britannique - avait alors «gonflé» le dossier, comme l'en avait accusé une enquête de la BBC qui avait révélé le pot aux roses. Si l'enquête portait essentiellement sur les circonstances dans lesquelles le Dr Kelly s'est, apparemment, suicidé, l'investigation semble aujourd'hui évoluer - parallèlement à l'enquête sur la mort du Dr Kelly - vers le pourquoi de l'entrée de la Grande-Bretagne en guerre contre l'Irak, et déterminer si le gouvernement Blair n'avait pas délibérément menti aux citoyens britanniques pour leur faire accepter une belligérance dont nombre d'entre eux n'étaient pas convaincus. Dans le dossier préparé par les services britanniques, sous la supervision de proches collaborateurs de Tony Blair, il y était notamment mentionné le fait que Saddam Hussein pouvait déployer des armes de destruction massive en «45 minutes». David Kelly, employé du ministère britannique de la Défense (MoD) avait admis avoir indiqué dans son témoignage à la BBC que le «45 minutes» avait été ajouté de toute évidence pour «l'impact» qu'il pouvait avoir sur l'opinion publique. C'est se fondant, notamment, sur ce dossier «travaillé» que le président américain George W.Bush pouvait affirmer dans son message sur l'état de l'Union, (le 28 janvier dernier) que l'Irak constituait une vraie menace pour la paix internationale. Le Premier ministre britannique, M.Blair, qui sera auditionné demain, devra s'expliquer devant la commission Hutton - et partant devant l'opinion publique britannique - sur les manipulations qui sont prêtées à ses services, sans doute à son instigation, lesquels ont «gonflé» le dossier présenté en septembre 2002, pour justifier une guerre loin de faire l'unanimité chez les Britanniques. De fait, selon les révélations faites par le général de corps d'armée, John Walker - ancien vice-président du Comité conjoint des services de renseignement - à la commission d'enquête, la supposée détention par l'Irak d'armes de destruction massive «n'était pas la raison, mais l'excuse pour aller en guerre». Ce qui ne va guère arranger la position du Premier ministre britannique, d'autant plus que la commission d'enquête sur la mort de l'expert britannique, a rendu publique en début de semaine quelque 9000 pages de documents, dont certains, selon des spécialistes, ne pouvaient être, théoriquement, accessibles avant trente ans. C'est dire que la presse britannique a fait ses choux gras de cette avalanche de documents qui, au détour d'une page, d'un paragraphe, d'un article, révèlent des choses fort embarrassantes pour le Premier ministre et son proche entourage. De fait, les collaborateurs de Tony Blair semblent avoir abusé du courrier électronique et des e-mails, faciles pour communiquer certes, mais qui laissent des traces. C'est ainsi que l'un des plus proches collaborateurs du Premier ministre britannique, Alaister Campbell, a dû s'expliquer sur l'une de ses correspondances dans laquelle il écrivait, le 17 septembre 2002, à John Scarlett, président du Comité conjoint des services de renseignement (JIC) que «le Premier ministre est soucieux de la façon dont vous présenterez la question du nucléaire». Deux jours après, Alaister Campbell, dans un nouveau courrier électronique, demande à J. Scarlett, de réécrire le passage sur le nucléaire irakien et de conclure de cette manière «ils (les Irakiens) pourraient produire des armes nucléaires dans un délai de un à deux ans (...)». Alors même que Tony Blair faisait pression sur son équipe pour faire accréditer, d'une manière ou d'une autre, le danger supposé que constituerait l'Irak, son directeur de cabinet, Jonathan Powell, avait exprimé des doutes, d'autant que selon M.Powell, le dossier ne montrait pas clairement que «la menace irakienne était imminente». Les passages devant la commission Hutton, aujourd'hui, du ministre de la Défense, Geoff Hoon, semble-t-il résigné à se sacrifier, et demain celui du Premier ministre Tony Blair, devront éclairer un peu plus sur ce «mensonge d'Etat» par lequel le Premier ministre britannique a engagé la Grande-Bretagne dans une guerre que rien, hier pas plus qu'aujourd'hui, ne justifiait. Cela, d'autant plus que les Britanniques supportent de plus en plus mal le fait que des soldats britanniques meurent de plus en plus dans une guerre qui n'était pas la leur. Outre le dossier «gonflé» irakien, MM.Blair et Hoon devront également s'expliquer sur ce que la famille de Dr Kelly a appelé «une campagne de dénigrement» du gouvernement Blair contre l'expert. De fait, David Kelly, avant son passage devant la commission parlementaire, le 15 juillet, aurait subi d'énormes pressions de la part du ministère de la Défense (MoD, son employeur). Le Dr Kelly, confia, le 9 juillet, à un journaliste du Sunday Times «On m'en a fait voir de toutes les couleurs». Notons que les enquêteurs parlementaires n'ont pas été tendres avec le Dr Kelly eux non plus. En fait, le 17 juillet, deux jours après son audition par la commission du Parlement, David Kelly est trouvé mort, selon toute apparence, par suicide.