Après Rached Ghannouchi en Tunisie, Abdelilah Benkirane au Maroc, Mohamed Badie, chef des Frères musulmans égyptiens, se prépare à prendre le pouvoir au Caire Les Occidentaux se basaient, il y a quelques mois, sur la présence d'islamistes sur leurs territoires pour qualifier certains pays de terroristes. Aujourd'hui, la donne a-t-elle changé? Le Printemps arabe, ayant balayé certaines dictatures et menaçant d'autre, a ouvert les portes aux islamistes. L'un des aspects les plus intéressants des «Printemps arabes» reste le contexte islamiste. En Tunisie, en Libye, au Maroc et en Egypte, les islamistes bombent le torse, rassurent et se voient rassurés du côté de l'Occident. Ils ont été largement plébiscités vainqueurs des scrutins post-«révolution» en Tunisie et au Maroc et sont en pole position en Libye et en Egypte. C'est dire qu'il aura fallu, paradoxalement, que les peuples arabes se révoltent pour que le tabou (l'islamisme) soit levé et normalisé. Aux élections, ils sont sortis largement vainqueurs contre les formations démocratiques. Pourtant, à l'exception du cas libyen, les islamistes se sont montrés, dans les pays arabes en ébullition, en marge des révoltes et à l'abri des protestations de rues. Ils ont pris le train des révoltes en marche au moment où ces dernières ont fait tomber des régimes, que l'on croyait bien établis. «Le Printemps arabe s'est produit alors que l'Occident connaissait la plus grande vague d'islamophobie de son histoire. Alors qu'on parlait de libertés en Tunisie et en Egypte, on jouait en Europe avec le fantasme de l'islamisation», a souligné Henry Laurens, spécialiste d'histoire du Monde arabe, auteur d'un ouvrage: la Question palestinienne. Cela signifie-t-il que le syndrome islamiste ne fait désormais plus peur aux Occidentaux? Ou le soutien indirect de la diplomatie occidentale aux islamistes cache-t-il des desseins inavoués? Une diplomatie qui, pour rappel, fait de la promotion de la démocratie une nouvelle arme d'ingérence dans les affaires internes de pays souverains et de l'islamisme un critère pour qualifier un Etat de voyou et/ou de terroriste. Jusqu'alors, les Américains, les Britanniques, les Français ne tenaient pas à offenser les dirigeants libyens, égyptiens, tunisiens ou marocains, qui avaient fait des islamistes leurs favoris aux postes de commande, quitte à en exagérer la menace sur la stabilité de leur pays et détourner les objectifs des révoltes de leurs peuples. C'est dire qu'une nouvelle lune du miel recommence entre les Occidentaux et les islamistes, après celle des années de la guerre froide. Face à cette contradiction apparente de messages inquiétants, et d'autre part de déclarations d'intentions plus apaisantes des islamistes, les Occidentaux voient-ils la nécessité d'aider les cadres de ce nouveau pacte: Islamistes-Occidentaux. Et pour paraphraser «les prêtés» à François Mitterrand à propos de Mikhaïl Gorbatchev dans les années 1980: «L'important n'est pas que ces nouveaux acteurs, en l'occurrence les partis religieux, soient sincères, mais que tout se passe comme s'ils étaient sincères.» Il faut faire avec les islamistes Depuis le début de l'été, les diplomates américains, britanniques et français au Caire, à Tunis ou ailleurs au Maghreb, n'hésitent plus à rencontrer les leaders des formations intégristes locales, forces (devenues) incontournables dans le nouveau paysage politique, hérité des dictatures renversées par les soulèvements des peuples. «Surprenez-nous, on vous surprendra», avait déclaré en avril Alain Juppé, le ministre français des Affaires étrangères, lors d'un colloque organisé par le Quai d'Orsay à l'Institut du Monde arabe (IMA), qui réunissait des islamistes du Maghreb. Mieux encore, Alain Juppé avait même proposé, le 16 avril dernier, l'ouverture d'un large dialogue avec les courants islamistes du monde arabe qui «respectent les règles du jeu démocratique et bien sûr, le principe fondamental du refus de toute violence». Et en même temps, le chef de la diplomatie française avait appelé ses ambassadeurs à «élargir le spectre de leurs interlocuteurs aux courants islamiques ayant accepté le jeu démocratique et renoncé à la violence». Ainsi, au Caire, quelques semaines après, l'ambassadeur français Jean Félix Paganon brisait le tabou en s'entretenant avec Mohammed Morsi, le chef du parti Liberté et Justice, émanation des Frères musulmans. Aux journalistes, Jean Félix Paganon a déclaré:«On demande aux Frères musulmans comment ils voient la transition. Quels sont leurs éléments de programme et leur stratégie électorale.» En Tunisie, l'ambassadeur français, Boris Boillon, s'est lui aussi entretenu régulièrement avec Rached Ghannouchi, le chef du parti islamiste Ennahda, interdit du temps de Ben Ali. En Libye, encore, il y a eu des entretiens avec les intégristes activant sous la houlette de l'ancien djihadiste Abdelhakim Belhadj. Mais là, plus qu'ailleurs, les Occidentaux se sont succédé, un après l'autre, auprès des islamistes libyens. En Jordanie, une diplomate a rencontré récemment Zaki Ben Rachid, un dirigeant des Frères musulmans. Mais là «ce n'était pas une première», prévient-on à l'ambassade de France. On les rencontre régulièrement, ils font partie du paysage politique depuis bien des années. C'est dire que le pacte a était bel et bien conclu entre islamistes pressentis au pouvoir dans le Monde arabe et l'Occident. A ce sujet, William B. Quandt, ex-membre du Conseil de sécurité national américain, avait déclaré, dans les colonnes de l'Expression, que «les islamistes sont en position d'exercer visiblement le pouvoir, de se confronter au réel et aux jeux de coalition interne et externe, mais aussi il faudra à l'Occident réussir la réinvention de ses relations avec ces nouvelles classes politiques plurielles, forcément différentes des relations avec des régimes en situation de monopole, jadis incarnés par un individu érigé en interlocuteur unique». Dans cette optique de la relation avec le Monde arabe, William B. Quandt a souligné que «l'Occident a un rôle à jouer».