Le leader islamiste tunisien est, depuis hier, en visite d'Etat à Alger. Si le pouvoir n'ose pas assumer la nature politique de ce séjour, son traitement protocolaire le trahit : seuls les invités du président de la République jouissent du privilège de se faire accompagner par le deuxième homme de l'Etat. De son côté, le président fondateur d'Ennahda, qui n'occupe aucune fonction officielle dans l'Etat tunisien, ne fait pas mystère du motif de sa présence en Algérie : “Je suis venu effectuer des concertations pour l'intérêt de nos deux pays et de la région.” C'est donc plus qu'un président provisoire de la République tunisienne que l'Algérie reçoit. Une espèce d'ayatollah d'une Tunisie en devenir islamiste. On ignore pour le moment le rôle de l'émirat qatari dans cette nouvelle initiative diplomatique d'Alger. Mais, désormais, l'axe Ankara-Doha-Le Caire est opérationnel. Les contacts algéro-qataris et algéro-égyptiens qui ont précédé ce “sommet” algéro-tunisien et la présence des Turcs à la réunion des ministres “arabes” de Rabat constituent autant d'étapes du processus. À son arrivée, El-Ghannouchi a bien parlé d'intérêt “de la région”, élargissant l'ordre du jour de ses “concertations” et leur portée géographique. L'axe pour une issue islamiste au “Printemps arabe” est en mouvement et l'Algérie a pris place dans le projet, un peu timidement, parce que le régime algérien avance idéologiquement masqué : depuis dix ans, il tente de s'approprier une légitimité islamiste tout en s'agrippant à son identité nationaliste parfumée au discours “démocratiste”. Cette nature idéologique hybride, en même temps qu'elle le handicape stratégiquement, lui, assure une certaine capacité d'adaptation tactique. D'où cette diplomatie qui ne peut pas se définir dans ses finalités et qui est improvisatrice dans sa conduite. Une diplomatie plutôt de manœuvre et de composition, qu'une diplomatie de rigueur et d'action. Depuis les démonstrations de force post-Moubarak des “Frères musulmans” en Egypte, suivies de la victoire d'Ennahda aux élections pour une Assemblée constituante en Tunisie, l'Occident s'est résolu à accompagner une évolution vers une “Arabie” de régimes à la turque : un ensemble fait de régimes islamistes saupoudrés d'ingrédients “démocratiques” et de droits de l'Homme. La Turquie et le Qatar ont, apparemment, mission d'encourager, d'organiser et de soutenir la solution “islamiste modérée” dans les pays en “révolution”. La recette devrait s'appliquer d'abord à l'Egypte et à la Tunisie qui semblent mûres pour cette évolution. Ce sera ensuite le tour de la Libye, si le scandale, qui vient d'éclater, des armes livrées — après la “libération” du territoire — par Doha aux islamistes libyens ne vient compliquer la réalisation de ce qui a l'air d'un véritable plan Otan-Qatar. L'Algérie semble vouloir faire cortège avec ces “démocraties islamiques”, en complément de ses initiatives de “réformes”, et se normaliser en faisant, ainsi, l'économie d'un changement de régime. Sous la supervision du désormais “grand frère” arabe, le Qatar. Une seule difficulté peut compliquer la mise en œuvre de ce plan d'un “Printemps arabe” qu'on veut convertir en “printemps islamiste” : sa mise en œuvre suppose que les peuples concernés ont dit leur dernier mot. Mais, là, rien de moins sûr. M. H. [email protected]