En décidant d'une journée sans presse, les journalistes veulent attirer l'attention sur les dérives graves des pratiques du pouvoir. Poussé dans ses derniers retranchements par la série de révélations étalées dans les colonnes des journaux, le pouvoir n'avait d'autre choix que de contre-attaquer ou de jeter l'éponge. La contre-attaque pouvait prendre plusieurs formes, la plus élégante étant d'apporter la preuve, en toute transparence, de sa non-implication dans les affaires en question. Mais comme il n'est pas blanc comme neige et qu'il est plutôt convaincu du contraire, le pouvoir a préféré sortir la grosse artillerie en mettant au service exclusif d'un clan, les moyens de la puissance publique que sont, la police et les tribunaux, c'est-à-dire ce qu'on appelle en langage althussérien, les appareils répressifs d'Etat. Le premier de ces moyens a revêtu des habits économiques d'apparence neutre : c'est l'argument commercial qui a été brandi pour arrêter le tirage des journaux. Les imprimeries, bizarrement maintenues dans le giron du secteur public, ont été actionnées pour envoyer des ultimatums un jeudi matin, seul jour de la semaine où les quotidiens ne travaillent pas, c'est-à-dire que lorsque les fax tombent, les sièges des rédactions sont vides. Nous étions jeudi 14 août. Sachant que les banques sont fermées les vendredis et samedis, on voit bien qu'aucune marge de manoeuvre n'était laissée aux journaux pour régler les factures envoyées par les imprimeries, au mépris des contrats liant les deux parties et qui stipulent que les frais d'impression sont payées «soixante jours fin de mois.» C'est-à-dire qu'on en était logiquement à honorer les factures de mai au moment où on nous demandait de payer celles du mois de juillet. En outre, ce qui enlève toute crédibilité à l'argument commercial est le fait que cette décision de suspension n'a pas été prise par les imprimeries de leur propre chef, mais par un conseil interministériel restreint, présidé par le Chef du gouvernement lui-même, avec une participation active du ministre d'Etat, ministre de l'Intérieur, qui s'est érigé en censeur et en grand inquisiteur de la République. Belle promotion pour quelqu'un qui a occupé de hautes fonctions au sein de la sécurité militaire. Mais rapidement, le caractère fallacieux de cet argument commercial a été battu en brèche par les manigances du clan Zerhouni pour essayer de piéger Mohamed Benchicou: c'est l'affaire des fameux bons de caisse, découverts sur lui à l'aéroport Houari Boumediène. Les services de la douane et ceux de la banque d'Algérie, ont beau répéter qu'il n'y avait rien d'illégal dans la détention et le port de ces titres, Zerhouni maintient la pression en violant les lois de la République : des perquisitions auront lieu dans la maison de Benchicou et celle de sa mère. Et le directeur du journal Le matin sera placé sous contrôle judiciaire au mépris des lois de la République. Au fil des jours on voit se multiplier les atteintes à la liberté d'expression. Le directeur du journal Liberté, le rédacteur en chef de ce même journal, son caricaturiste, Dilem ainsi que des membres de la rédaction, seront convoqués manu militari par la Dgsn. Réunis à la maison de la presse, les responsables de journaux, harcelés par la police, décident de dénoncer le caractère arbitraire et illégal de ces convocations. Les journalistes ne sont pas des voleurs et dorénavant, ils ne répondront que devant le juge. Des mandats d'amener sont délivrés par le procureur à l'encontre de ces journalistes. Après Le matin et Liberté, ce fut au tour du directeur du Soir d'Algérie, Fouad Boughanem, d'être à son tour inquiété. Des paniers à salade sont utilisés pour embarquer tous ces messieurs de la plume, alors que des militants de la société civile sont sauvagement agressés et tabassés par les forces de l'ordre. C'est ainsi que Belaïd Abrika, s'en sort avec trois côtes brisées et 21 jours d'arrêt de travail. En décidant d'une journée sans presse, les journalistes veulent attirer l'attention de l'opinion publique nationale et internationale sur les dérives graves des pratiques du pouvoir. Incapables d'apporter des solutions aux problèmes qui se posent à la nation, les clans qui tiennent le gouvernail des affaires de l'Etat, appliquent la politique de l'autruche et de la fuite en avant, non seulement pour se maintenir au pouvoir, mais aussi pour couper court à la publication des affaires qui les éclaboussent.