Il est donc parti, discrètement, comme il a vécu, sans trop vouloir déranger, alors qu'il tient une place immense dans plus d'un demi-siècle de l'Histoire de l'Algérie. Sa discrétion est de fait sa marque de fabrique. Cet homme, qui a fait de la mesure son idéal de vie, est mort hier à Alger des suites d'une longue maladie. Abdelhamid Mehri est né en avril 1926 à Constantine. L'homme a marqué l'histoire de l'Algérie de manière indélébile s'engageant très jeune dans les rangs du Parti du peuple algérien (PPA) avant de devenir l'un des dirigeants du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) dont il était membre dans les années quarante. Mehri a été tout au long de près de 70 ans, un acteur de premier plan tant dans la résistance à l'occupation française que comme homme politique et patriote qui a tout donné pour que vive l'Algérie libre. C'est ainsi que le patriote et dirigeant quitte cette terre des ancêtres sur une note d'amertume, conscient que si l'Algérie est indépendante, elle n'est pas totalement libre, du moins ne bénéficie pas de la liberté telle qu'il la concevait. Abdelhamid Mehri porta ainsi un regard lucide sur les faits et les choses restant, toutefois, intransigeant sans pour autant refuser le dialogue. Il le montra encore au crépuscule de sa vie en acceptant de rencontrer la Commission de dialogue sur les réformes instaurée par le chef de l'Etat, même s'il ne se faisait pas trop d'illusion, le faisant d'ailleurs savoir crûment à Abdelkader Bensalah, président du Sénat et de ladite commission. Mehri, militant au long cours, qui consacra sa vie à l'Algérie, n'a pas eu, de son vivant, cette reconnaissance officielle de la patrie qui n'a pas toujours honoré ses servants à la hauteur de leurs sacrifices. Pourtant, sans des hommes de la dimension de Abdelhamid Mehri, la Révolution aurait-elle été possible? Mehri rejoint de fait le Panthéon d'hommes tels que Benboulaïd, Boudiaf, Bitat, Didouche, Zighout qui abandonnèrent biens et avenir pour se consacrer à la libération de l'Algérie. Ces hommes de légende restent cependant méconnus d'une génération post-Indépendance qui a, dans les années 90, découvert, stupéfaite, un Mohamed Boudiaf sur lequel a été étendu un lourd silence. Des interrogations légitimes et pertinentes de la part de la jeunesse algérienne sur le passé récent de l'Algérie n'ont pas eu les réponses qu'elles méritaient. Des faits et des actions d'hommes qui ont participé activement à la guerre de Libération ont été ainsi occultés, passés sous silence. Très peu d'Algériens savent ainsi le rôle de Abdelhamid Mehri dans les négociations qui aboutirent aux Accords d'Evian. Ainsi, au projet de De Gaulle pour l'Algérie, Abdelhamid Mehri proposa un contre-projet connu d'ailleurs sous le nom de «projet Mehri». Mais la modestie de l'homme est telle qu'il ne se mit jamais en avant laissant à l'Histoire (qui se prononcera sans doute un jour) le soin de faire la part des choses et de rétablir chacun, selon ses actes, dans le Panthéon de l'Histoire nationale. Mais un fait est patent, Abdelhamid Mehri laisse son empreinte sur l'Histoire de ce pays. Homme de stature internationale, le défunt militant de la cause nationale, nous quitte à la veille de la célébration du cinquantenaire de l'indépendance nationale. C'est surtout une page de l'Histoire de l'Algérie qui ainsi se referme avec la disparition de l'un des tout derniers survivants de la cause nationale. C'est en ces moments d'affliction que l'on se surprend à se dire que l'histoire des hommes qui ont fait la Révolution reste à écrire. Or, mieux nous connaissons notre Histoire et notre passé, mieux nous serons à même de nous assumer. C'est absurde que 50 ans après l'indépendance du pays, les Algériens ne connaissent pas mieux que cela leur Histoire, l'Histoire de l'Algérie.