Ali Kaddour, le jeune président de la section correctionnelle du tribunal de Sidi M'hamed, Alger, avait, jeudi dernier, pris la résolution de ne pas s'éterniser dans son audience réservée aux non-détenus et aux détenus. Il était si résolu à liquider le dernier jour de la semaine que les inculpés étaient plutôt heureux de voir leurs auditions abrégées et donc leurs souffrances en noir et blanc aussi. A neuf heures précises, il est suivi par l'autre jeune magistrat, Ali Saïki qui occupe le siège du ministère public. Les dossiers sont rapidement examinés avant que Kaddour ne lève l'audience pour une vingtaine de minutes et revenu entendre les détenus, pas trop nombreux ce jour. Le premier est franchement liquidé: il reconnaît le port d'arme blanche sans rien derrière la tête. Il demande même pardon à tous, Allah en tête, la police et à la justice. Un mea-culpa rédigé à «l'ombre» dans un Serkadji, ce pénitencier qui n'a rien d'un éden et ce Tayeb B.R. a dû voir des ombres et entendre des voix pour emprunter la voie de la raison, du repentir. Son destin est entre les mains de Ali Kaddour qui met le dossier en examen sous huitaine avant de décider de son sort. Le deuxième, le troisième et le quatrième détenus sont eux aussi ravis de vite en finir. Maître Aïcha Boudiaf défend avec beaucoup de conviction son client mêlé à une sale histoire d'outrage à fonctionnaires de police dans l'exercice de leurs fonctions. Elle étalera tout son art y compris celui de la connaissance de proverbes du terroir qu'elle a si bien su présenter à une juge tolérante car visiblement, c'est un magistrat qui a dû apprendre à ne pas perdre son temps lorsqu'il rend justice et donc pas le temps d'écouter les complaintes de dictons populaires. Mais l'avocate de Rouiba s'était déplacée à Sidi M'hamed décidée à arracher ce qu'elle a réclamé à grands mots justes de quoi écraser les maux. Aniss, lui, est le protégé de Maître Samir Khadraoui, membre du Conseil de l'ordre d'Alger. Il reconnaît avoir sniffé. Il plaide coupable. Il le fait si bien que le président va vite se tourner vers Ali Saïki, le jeune représentant du ministère public qui va demander la peine «fourchette» prévue par la loi. Maître Khadraoui effectue rapidement son boulot, évitant au juge de faire une déplaisante mais légitime remarque. Il refuse de donner l'occasion à Kaddour de siffler la fin des débats. Il réclame les circonstances atténuantes les plus larges. Et comme la loi l'exige, le dernier mot est accordé à l'inculpé ou à son conseil. Et là, chers amis lecteurs, l'assistance va vivre des moments de détente de 28 secondes qui permettront même au juge et au parquetier de rigoler cinq secondes. De quoi a-t-on ri? Qu'est-ce qui a donc pu pousser les gens et même ceux de l'impeccable service d'ordre à s'esclaffer? Simple, même si c'est rigolo et délassant comme tout... Aniss L. lâche en guise de dernier mot une phrase complète tel un couperet sur sa nuque: Debout, il articule le plus sérieusement: «Monsieur le président Ali Kaddour la peine la plus lourde...» Ali Kaddour, le magistrat remet sa paire de lunettes au-dessus de ses narines et répond: «Comment ça?» Votre avocat vient de s'échiner pendant dix minutes pour vous sauver de l'incarcération et vous me demandez un châtiment maximal?» Le pauvre bougre qui venait de réaliser sa bévue reprend: «Relaxe» sans sourire. Il lève la tête depuis le box des accusés, fixe le sympathique policier qui le tient à l'oeil à titre simplement préventif et remercie le tribunal avant de prendre acte de la date de l'annonce du verdict qui ne peut être qu'une petite peine assortie du sursis alors qu'il avait, lui, Aniss L., réclamé un châtiment exemplaire. C'est un peu l'histoire du cobra qui se mord la queue.