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Le parquet requiert 10 ans d'emprisonnement
PROCÈS ABM-DGSN
Publié dans L'Expression le 23 - 10 - 2011


Le colonel Chouaïeb Oultache
La seule crise de nerfs et de larmes de Maître Belarif n'explique pas les dix ans requis.
Au troisième jour du procès ABM-DGSN, un vendredi saint, les débats débutent vers neuf heures vingt par l'audition du vingtième inculpé, Mohammed H., assisté de son conseil Maître Boudjemaâ Rahem. Il est non détenu. Il est interrogé à ce titre et risque gros comme le reste du groupe traîné à la barre. Et ce qui est nouveau, c'est le ton de Assia Chekal, la juge du tribunal de Sidi M'hamed (Alger) qui semble décidée à fermer «le jeu» car le tribunal est maintenant en «haute mer» et navigue à vue.
Les six détenus, eux, sont certes, frais mis à part Daïmi qui avait été rudoyé dix-huit heures plus tôt par la présidente qui avait profité du trop-plein de questions balancées et par les avocats et par Zahia Houari, la procureure qui a voulu participer aux débats le temps qu'elle formule, au moment voulu, les demandes. Chouaïeb Oultache, lui, avait salué ses enfants et madame avant de leur tourner le dos pour suivre les débats car il sait qu'il est l'axe-moyen autour duquel tout tourne. Quelquefois, il donne l'impression de vouloir crier debout son innocence mais il est trop bien élevé pour troubler l'audience. Seuls quinze défenseurs sont assis sur la quarantaine constituée.
Chekel, la magistrate du siège, a gardé le foulard-khimar de la veille. Et puis, la revoilà qui tombe dans la routine de rappeler à la barre un ou deux inculpés pour avoir dit-elle, des éclairages sur les déclarations de l'inculpé qui est entendu. Djamila D. fonctionnaire à la DGSN est la seule femme à être poursuivie dans cette affaire. Maître Lotfi Saïdi son unique avocat se lève et se place à sa droite. La juge commence son chapelet de questions en arabe. Djamila répond en langue française, le timbre de sa voix chevrotante et solide. Elle résiste aux questions égrenées en gardant ses béquilles bien collées aux hanches et aux paumes. Ce qui explique que c'est l'unique inculpée à ne pas gesticuler en répondant. Et un Algérien qui s'exprime sans les mains et les bras, on sait ce que cela donne...Maître Saïdi, avait largement substitué son aîné Maître Kamel Maâchou, retenu en plein problème familial qui ne pouvait attendre! Ah! la solidarité des robes noires.
Maître Saïdi, le défenseur de Djamila posera bien deux questions relatives d'une part, à ses inculpations et d'autre part, aux arguments qu'il pouvait avancer au tribunal. Et effectivement, sa réponse sera sans bavure. «J'étais en France au moment des faits, moi le petit chef de bureau de la DGSN.» Faïz Mahdi, l'élégant chef de service est appelé à son tour par la juge. Il a le même conseil que Djamila. Il répond comme Djamila, en français mais une ponctuation en...arabe. D'emblée, il décortique son rôle dans le fonctionnement du département où il a des responsabilités.
Chekal, la juge y va mollo-mollo avec lui car ses réponses sont courtes, donc brèves, donc lisibles à vue. Il n'entrera jamais dans le fastidieux et évitera d'aller dans les explications techniques qui agacent les juges pas au parfum pour ce qui est «technique-locale».
Oultache suit la scène l'index gauche sur la lèvre inférieure ce qui met en valeur sa désormais fine moustache savamment taillée - détention provisoire oblige - Daïmi, lui, sirote de l'eau minérale toutes les vingt-cinq minutes. L'inculpé sera un des rares à prononcer «le colonel Oultache» en guise de respect et pourquoi pas d'admiration. Et là aussi, Chouaïeb acquiescera de la tête à l'issue d'une énième réponse de l'inculpé. Antri Bouzar se lève et depuis le box va répondre à l'inculpation de dilapidation de biens publics et la seconde: trafic d'influence. Maître Ksentini, Maître Sahraoui, Maître Fayçal Benabdelmalek, Maître Khaled Achour se lèvent à leur tour. Ils suivent les débats. Suspense. L'inculpé va droit sur: «Madame la présidente, il n'y a rien de tout cela. Je n'ai rien dilapidé ni agi à travers un trafic d'influence. Il y a eu un contrat. Il y a appel d'offres international. Il y a eu des démarches. Le reste n'est qu'affabulations. Il n'y a jamais de retard. C'est vous dire que tout était réglé. Le contrat était valide de bout en bout. On nous a choisis pour nos produits de meilleure qualité et qui sont performants», a-t-il débité sans que la juge ne l'interrompt, alors que Zahia Houari cherchait le...poux «dans l'ordonnance de renvoi à la recherche d'une question renversante. S'agissant de Toufik Sator, il le présente comme compétent, le second boss de ABM et il ne gagne que 1,20% de ce que détient l'entreprise. «Il fait l'unanimité autour de lui. Lorsqu'on le présente comme actionnaire, il ne détient pas quatre-vingt-dix pour cent mais bien une virgule, vingt pour cent», dit-il avant de se retourner vers son codétenu pour lui demander son salaire. La juge le stoppe. «Cela ne se fait pas on ne se parle pas dans le box ni à la barre!» rugit-elle avec un large sourire.
Intellectuel Bcbg
Oultache sera le seul à ne pas s'esclaffer à la suite de ce rappel à l'ordre. Oui, il n'y a pas matière à sourire car il a dû, lui, le colonel, meneur d'hommes, se faire une idée de la pluie de tuiles qui l'attend avec ses cadres! Et un innocent reconnaît, sans renifler, le vinaigre, du petit lait caillé! Et puis, Chouaïeb a eu l'occasion de rire ou de sourire. Ce qui n'est pas le cas de Toufik son gendre. Visage fermé, le regard hors du box, il est immobile. Il n'a aucun tic, ni geste déplacé. Il représente vraiment nos intellectuels genre Bcbg. Et lorsque Chekal l'appelle, il se lève, tient le bois du box et répond avec beaucoup de gravité aux premières questions du tribunal. «J'ai eu l'occasion de bosser au sein de l'Union européenne avec les avantages connus. J'ai choisi mon pays. Je n'ai fait aucun calcul ni calculé d'être le gendre du colonel Oultache, ni d'aller vers ABM. C'est mon destin...
A ce moment, Maître Tayeb Belarif s'écroule sur le banc. Il est victime d'une crise de nerfs. Il tombe en pleurs... Maître Mehdi Menaceur se porte à son secours. Il est suivi de Maître Bouchachi. Un médecin assis dans la salle d'audience arrive. La présidente ne peut que lever l'audience, le temps que l'avocat aille mieux. Une fois, Maître Belarif évacué, l'audience reprit. «Vous me demandez de m'expliquer. Madame la présidente, j'ai travaillé dans ABM jour et nuit, toute la semaine y compris les week-ends. C'est le lot de tout cadre loyal. On vient me planter sur une planche à clous. Durant l'instruction j'ai répondu à toutes les questions y compris celle de mon " actionnariat" (1,2 pour mille!). Est ce un crime que d'être un petit actionnaire? Est-ce un crime que d'avoir un seigneur comme Oultache comme grand-père de mes enfants? Non. C'est un peu trop, Madame la présidente», articule dans un excellent français qui ferait rougir de jalousie, un membre de l'Académie française... Son épouse et fille de Oultache est attentive, malgré la double douleur de ce drame qui l'a frappée.
Le chef de projet d'études d'appels d'offres, dans ABM, Djaïder, directeur commercial paraît crispé. Mais il se libère vite dès qu'il se présente au tribunal. Il parlera longtemps de son rôle dans l'entreprise. Il rappellera comment, par qui et où il a été convoqué pour une réunion de travail à Dar El Beïda pour l'ouverture des appels d'offres d'un marché de matériel destiné à la DGSN.
«Qui vous a convoqué?» dit en français, Chekal la présidente qui attendait peut-être comme réponse: Oultache», sera déçue car l'inculpé répond: «Par quelqu'un d'inconnu pour mon service.» Maître Bader Eddine Mouloudji a des ennuis avec son mobile. Il le met sous éteignoir en appuyant sur le bouton de l'option: silencieux! le policier qui a entendu l'agréable sonnerie, grimace... Maître Menasria, Maître Bachi, Maître Maâchou viennent d'entrer. Il est onze heures quarante-neuf! On avance vers la suspension d'audience. La prière du vendredi se fera en face à la Mosquée «Ben Badis» ou à la place des Martyrs pour ceux qui déjeunent dehors!.
Entre-temps, l'inculpé continuait à répondre du tac au tac aux questions de Zahia Houari, la parquetière qui croit avoir accroché le «brochet» avec l'hameçon mais les réponses satisfont la juge, seule juge à bord, la procureure n'étant que partie au procès. «Mes actions n'ont jamais posé de problèmes à ABM. J'ai la compétence outre la renommée mondiale de ABM et la compétitivité de l'entreprise. Résultat: dix mois de prison. On m'a privé de liberté après dix-huit ans de loyaux services en livrant à toutes les institutions de l'Etat, y compris le ministère de la Justice, des appareils de pointe.», avait-il débité, la voix cassée par l'émotion et la rage d'être détenu pour rien ou plutôt si: «Parce que nous avons fait preuve d'intégrité et de loyauté.» Il est temps de lever l'audience car il est midi. Djaider a fini de se défendre comme un lion. Sa femme, comme toutes les autres dames, est certes meurtrie, mais débout car son mari à dit la vérité toute nue. Les larmes noient les prunelles mais l'homme crie famine. Maître Belarif demande aux fidèles de prier pour tous les innocents. Quinze heures pile: Assia Chekel, la présidente et Zahia Houari, la procureure entrent dans la salle d'audiences pleine sans qu'il n'y ait une seule personne debout à part les hommes de l'officier Moussa qui sont sur le qui-vive car ils ont sous leur protection une quinzaine d'officiers de police inculpés et témoins dans le dossier algerian Media Business. Direction générale de la Sûreté nationale. L'après-midi de ce vendredi donc est consacré à l'audition des quinze témoins. Ce qui va permettre si le tribunal fait preuve de célérité, à la représentante du ministère public de requérir, avant la fin de cette harassante journée, la troisième du procès ABM/Dgsn. Pour les plaidoiries des parties civiles Trésor public et Dgsn ainsi que la trentaine d'avocats qui ne sont pas tenus de tous plaider, on songe au samedi et ce procès ne sera plus qu'une souvenir...
Maître Houcine Bouchina, Maître Saïd Handjar, Maître Tayeb Bouitaoui et Maître Belarif (qui a passé le moment du désespoir et de la colère, le matin) s'installent et chacun prêtera l'oreille aux témoignages que le tribunal veut les plus brefs possibles surtout que les mauvaises habitudes régnant, il y a toujours un ou deux témoins qui sont atteints d'amnésie au bon moment!
Dans l'intérêt de leurs clients, Maître Boutaoui et Maître Mouloudji poseront bien des questions pour obtenir ce qu'ils voudraient être, en guise de réponses, des «cartes» à utiliser lors des plaidoiries. Maître Nacéra Ouali, elle, s'était levée une seule fois cet après-midi à la barre pour écouter un témoignage à décharge en faveur de son client. Le plus amusant de ce vendredi, c'est l'alerte générale chez les policiers lorsqu'un phone balançait une mélodie. Un regard et le «coupable» éteint vite son appareil. Ah! la modernité!
Le témoin Hamadache, arrive tel un ingénieur sur un chantier. Il sera incisif et permet au tribunal de prendre acte de ce qu'il désirait savoir. Maître Ouali joue à la galante. Elle se lève laisse Maître M.F. Ksentini s'asseoir. Et elle a insisté. Les conseils et la...presse ont apprécié, et c'est donc Hakim qui va planer...Sacrée Ouali, cette avocate qui vise en plein dans le mille lorsqu'elle sent l'injustice approcher!
L'appel à la prière d'El Asr voit une demi-douzaine de personnes quitter précipitamment la salle d'audiences. Il n'y a que les témoins qui attendent d'être entendus qui devront répondre à Allah bien plus tard.
La présidente a visiblement récupéré après le déjeuner et une courte sieste et montre toute sa tolérance au cours des témoignages. Elle n'agacera personne. Elle n'entendra que le minimum. Sur les six détenus, seul Daïmi est «out». Il ne cesse de boire de l'eau minérale de temps à autre. Stressé, Toufik S., lui, garde la même attitude: le regard fixe, la mine pas bien, les traits tirés et une attention continue sur tout ce qui se dit Oultache assis au premier rang du box suit les propos sans gestes inutiles ni tics menant à un quelconque ennui.
Le serment oublié?
Djaïder est plutôt calme. Il avait vidé le surplus de désespoir Antri Bouzar, le bras sur la boiserie du box est impénétrable en écoutant la question au témoin «numéro dix» de Maître Mustapha Oukid. L'éclaircie de cet après-midi est parvenue de la bouche du P-DG de l'EPE Alfatron Spa» qui a expliqué les causes du retard noté entre la première livraison et le reste de la commande. Ce précieux témoignage va peser lourd dans les «charges accumulées» et devient donc un témoignage en faveur des inculpés. Dans le box, Yahiaoui, le plus grand détenu par la taille (Allah bénisse) est décontracté et doit penser à beaucoup de choses positives à venir au cours de ces témoignages en or et qui valent leur pesant. Maître Belarif est ravi tout comme son bon vieux copain confrère ami et frère, Maître Brahimi, qui piaffe d'impatience pour plaider, vider sa gibecière et sauver son client. Riad, le jeune greffier qui se défonce à prendre acte, petit ou grand incident, a un oeil sur l'assistance. Il est seize heures quarante, la nuit va tomber et chaque avocat prie Allah qu'il fasse en sorte d'aller au plus vite vers la fin de ce vrai calvaire où chacun vit un cauchemar à l'idée que les dés ne soient jetés même si plusieurs avocats ont trouvé la juge correcte. Ce qu'il faudrait peut-être relever, c'est qu'aucun témoin n'avait été invité par le tribunal à prêter serment. Un oubli? ou tout simplement que Assia Chekal, la jeune présidente a considéré que tous les témoins avaient un lien étroit professionnel? Tout de même car sous le serment l'Algérien va droit sur et dans la vérité... Maître Safia Debi attend elle aussi le moment de plaider. Elle prit tant de notes que...boum! Riad Oubiche, le greffier de l'audience lui aussi tente de masquer sa lassitude surtout qu'il a cru comprendre qu'à 17h pile, si la juge ne lève pas l'audience pour un rendez-vous le samedi, c'est donc Zahia Houari, la procureure qui va se lever et requérir juste près les intervention de la partie civile ou des parties civiles.»
Eh bien non! Le «Si» n'est pas à mettre en bouteille et la juge va, contre toute attente, passer au réquisitoire qui verra la petite procureure se lever et passer à l'offensive. Elle ne s'étalera pas trop car elle avait pleinement participé aux débats durant les trois jours. Elle reprendra l'ordonnance de renvoi et demandera une peine d'emprisonnement ferme de dix ans pour tous les inculpés. De Oultache à Sator (ABM) en passant par Daïmi et Yahiaoui.
Ce fut un Nevé qui monta de la salle d'audience. Les visages fermés devinrent gris puis noirs. Mme Djaïder avait mal, tout comme Mme Oultache et ses deux filles, pourtant courageuses comme jamais...
Puis Maître Miloud Brahimi et Maître Mehdi Menaceur seront les premiers à plaider parmi la trentaine d'avocats constitués. Il était 19h40. La lassitude, le dégoût, le désespoir font le reste. Plus de jus. Assia Chekal, la présidente, décide d'arrêter ce marathon car elle a deviné que les demandes du parquet avaient sonné le hallali des inculpés et des proches qui se sont souvenus ce qu'avait déclaré mercredi Chouaïeb Oultache, l'ex-chef de l'unité aérienne de la Sûreté nationale, poursuivi pour malversation et trafic d'influence entre autres: «Le travail effectué par ces patriotes a dérangé certains directeurs centraux qui n'ont même pas de niveau: à peine le CEP (certificat d'études primaires, Ndlr).


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