En agressant la Syrie, Sharon avoue son échec à imposer sa loi aux Palestiniens. C'est en pleine incertitude, induite par l'agression israélienne contre la Syrie, que le président Arafat a signé, dimanche, un décret portant formation d'un cabinet d'urgence dirigé par le Premier ministre désigné, Ahmed Qorei. Dans ce même décret, il est proclamé en outre l'état d'urgence «au vu (des) circonstances difficiles et (de) la situation que traverse la patrie, (...) dans tous les territoires de l'Autorité palestinienne». Ce cabinet restreint de huit ministres aura à gérer une situation qui tend à s'aggraver graduellement dans les territoires palestiniens, aujourd'hui totalement sous l'emprise de l'occupation israélienne. En fait, la précipitation de la mise en place du cabinet Qorei et la proclamation de l'état d'urgence dans les territoires palestiniens sont la conséquence directe de l'aggravation de la situation qui a abouti à l'agression de la Syrie. Cette agression est en fait un aveu d'échec du cabinet Sharon qui ne sait plus de quelle façon endiguer la résistance palestinienne qui tient tête depuis 36 ans à la puissance de feu de l'armée d'occupation israélienne. Explicitant les dispositions prises par le président Arafat, son conseiller politique, Nabil Abou Roudeina, indique: «Les menaces israéliennes à l'encontre du peuple palestinien sont graves, c'est pourquoi il a été décidé de recourir à un cabinet d'urgence qui commencerait son travail dans l'immédiat pour faire face à cette situation dangereuse.» En effet, la situation dans les territoires palestiniens s'est dégradée de manière périlleuse suite aux menées de l'occupant israélien dans les territoires palestiniens avec le morcellement de la Cisjordanie, induite par la construction du «mur de sécurité», le bouclage de Gaza, de même que les bombardements héliportés sur cette même région, la fermeture de Rafah et, pour couronner cette spirale de la course au pire, l'agression contre la Syrie. En avertissement à Damas, indique l'armée israélienne qui accuse la Syrie d'abriter des «bases terroristes» palestiniennes. Israël a tellement usé et abusé du concept de terrorisme, tentant vainement de l'appliquer aux Palestiniens, qu'il est devenu sans signification usuelle, les dirigeants israéliens essayant depuis des décennies de diluer le problème de fond du dossier proche-oriental - qui demeure le droit des Palestiniens d'ériger leur Etat indépendant - dans ce qu'ils persistent à identifier comme terrorisme. Si aujourd'hui la violence submerge le Proche-Orient, cela est le fait d'abord de l'obstination d'Israël à vouloir combattre l'effet sans s'appesantir sur la cause que les dirigeants israéliens ont plutôt tendance à évacuer. La résistance palestinienne n'est en réalité que le produit et la conséquence de l'occupation des territoires qui leur reviennent de droit conformément aux résolutions 181 (de 1947 portant partage de la Palestine historique), 242 et 338 (de 1967 et de 1973 exigeant le retrait de l'Etat hébreu des territoires palestiniens occupés après la guerre de juin 1967). L'attentat de Haïfa qui a fait 19 morts israéliens et une trentaine de blessés est la suite directe de l'irrédentisme du cabinet Sharon. Tant que Israël, les Etats-Unis singulièrement, et la communauté internationale, plus généralement, ne replacent pas le contentieux israélo-palestinien dans son contexte véritable de décolonisation et d'autodétermination du peuple palestinien, il ne fait aucun doute qu'aucun progrès ne sera réalisé vers l'instauration de la paix et de la sécurité pour tous. En refusant le principe, la paix contre la terre, formulé par la communauté internationale et notamment consigné par les accords d'Oslo de 1993, Israël a pris la responsabilité d'ouvrir le conflit sur une impasse. En rejetant les accords d'Oslo et en refusant de mener jusqu'à son terme le redéploiement de l'armée d'occupation, les cabinets israéliens ont, en réalité, fait le choix de la guerre en bloquant ainsi le processus de paix. De fait, la «feuille de route» n'est compris par Israël que comme un moyen supplémentaire de neutraliser les Palestiniens et non point comme un facteur pouvant déboucher sur l'existence et la cohabitation de deux Etats, Israël et la Palestine. Aussi, l'enjeu, aujourd'hui, n'est plus de mettre un terme au soi-disant terrorisme palestinien, à l'évidence alimenté par le refus israélien, mais bien de faire appliquer par l'Etat hébreu les différentes résolutions pertinentes de l'ONU demeurées à ce jour en souffrance. Nonobstant les conséquences que pourrait induire l'agression de la Syrie par l'armée israélienne, le constat est que les dirigeants israéliens, par cette violence inconsidérée contre un Etat souverain, montrent leur panique - allant jusqu'à créer les conditions d'une nouvelle guerre généralisée au Proche-Orient - face à leur échec de venir à bout de la résistance palestinienne. Pendant près de trois ans, les cabinets israéliens successifs ont focalisé sur Yasser Arafat, leader de la résistance palestinienne -toujours menacé en fait d'expulsion - oublieux que la paix se négocie avec les ennemis (d'hier) non pas avec des hommes soumis. Mais, soucieux d'imposer, y compris par la force, leur seule vision de la paix dans la région, les Israéliens ont perdu de vue où se trouvait l'intérêt d'Israël et de la communauté juive. La force n'a jamais fait office de solution politique, d'où l'échec patent de Sharon. De fait, le chef du gouvernement israélien porte en grande partie la responsabilité des dérives de ces derniers mois en étant à l'origine de la fermeture de tous les points de contact avec les Palestiniens qui se battent pour leurs droits. L'échec de Mahmoud Abbas qui s'est voulu conciliant avec Israël aurait dû lui faire comprendre que le peuple palestinien a les mêmes droits que la communauté juive de vivre en sécurité dans un Etat indépendant avec des frontières sûres et reconnues. Frontières dont Israël ne veut pas entendre parler, les remplaçant par le «mur de l'apartheid» qui s'enfonce profondément dans les territoires palestiniens en Cisjordanie. Sharon, qui fait fausse route, ne veut pas admettre que la solution au contentieux israélo-palestinien ne peut être militaire et qu'elle n'est nulle part ailleurs que dans un accord négocié avec les Palestiniens qui se battent. Reste à savoir quelle puissance ou Etat prendra sur lui de faire comprendre cet impératif aux Israéliens.