L'artiste Mohia Les Fourberies de Scapin, l'une des plus grandes pièces théâtrales écrites par Molière, vient d'être publiée en langue amazighe aux éditions Achab de Tizi Ouzou. La célèbre pièce de théâtre du monument de la littérature française, Molière, a été traduite par un groupe de pas moins de sept auteurs, dont le célèbre Mohand Ou Yahia, de son vrai nom Mohia. Les co-auteurs de cette adaptation sont: Djamal Abbache, Boubekeur Almi, Saïd Hammache, Idir Naït-Abdellah, Tahar Slimani et Mokrane Taguemount. C'est dire qu'il s'agit d'un véritable travail de titan réalisé depuis 2003. Le livre porte en kabyle le titre de, Tixurdas n Saïd Wehsen. Malheureusement après que ce groupe de travail ait réussi à adapter en kabyle les vingt-huit premières pages de la pièce de Molière, Mohia tomba gravement malade puis décéda. Ce qui n'empêcha pas à cet atelier de traduction et d'adaptation de poursuivre le travail jusqu'à traduire l'intégralité de l'ouvrage. Mokrane Taguemount, l'un des adaptateurs de la pièce de Molière, que nous avons rencontré à Tizi Ouzou jeudi dernier, a insisté sur le fait qu'il s'agit d'une adaptation libre et non pas d'une traduction. «Quand vous lirez ce livre en kabyle, vous ne pouvez pas penser un seul moment qu'il ne s'agit pas d'une histoire qui ne s'est pas déroulée dans la région de Kabylie», souligne Mokrane Taguemount. Le livre est dédié à juste titre à Mohand Ou Yahia par les six autres co-auteurs: «A l'ami avec qui nous partageâmes la plénitude des moments qu'on croyait éternels. Mais, hélas, c'était sans compter avec la perfide qui l'éprouvera brutalement. Il y fit face. Avec grandeur. Puis il est parti. Alors, même si c'était pénible de retourner à la besogne en ton absence, pour toi Mohia, l'homme juste, et pour cette longue et merveilleuse amitié, nous fîmes serment d'accompagner Wehsen à bon port, en espérant que de là où tu es, tu souriras à ses pérégrinations.» Mokrane Taguemount nous a confié que Mohia a eu à l'époque le génie de réunir autour de lui des personnes originaires de différentes régions de Kabylie qui ont mûri dans les villages, notamment à la djemâa, des gens qui sont profondément enracinés dans la culture et la langue kabyles. L'objectif avait été de constituer un groupe de travail qui a eu à traduire plusieurs textes de la langue française vers tamazight. C'est ainsi qu'après plusieurs années de labeur, l'atelier en question a traduit Gorgias de Platon, Le Malade imaginaire de Molière, L'dipe-roi de Sophocle, L'Economique de Xénophon et le Docteur Knock de Jules Romains. Nadia Mohia, soeur de Mohand Ou Yahia, dans sa longue préface de douze pages souligne: «L'oeuvre que j'ai l'honneur de présenter est importante à plus d'un titre. Elle l'est avant tout parce qu'elle prolonge la passionnante aventure menée par Mohand Ou Yahia et le groupe de traduction constitué autour de lui; celle qui consiste à essayer d'adapter en langue kabyle des oeuvres que rien, a priori, ne destinait à subir cette transfiguration qui les intègre parfaitement à un autre univers mental et socioculturel que celui où elles ont été conçues.» Nadia Mohia rappelle que ce travail d'adaptation a été commencé au printemps 2003 et brusquement interrompu le 29 novembre de la même année. Mohia rentre à l'hôpital puis, décède peu après. Et moins de six mois après sa disparition, Djamel Abbache, Boubekeur Almi, Saïd Hammache, Idir Naït-Abdellah, Tahar Slimani et Mokrane Taguemount ont pris l'initiative de se réunir régulièrement pour reprendre le travail entravé par le méchant sort: «Je m'y suis rendue aussi à ces réunions du dimanche après-midi, dans un café parisien, et j'écoutais les échanges qui les animaient avec un grand intérêt. Avec une certaine tristesse aussi, quand, aux prises avec le choix d'un mot en kabyle, ou avec un passage ardu du texte en français, l'un ou l'autre disait: ´´Voyons qu'aurait proposé Mohia ici...´´.» Notons que les ouvrages universels adaptés en tamazight et cités plus haut avaient été adaptés par cet atelier de traduction et d'adaptation dans un petit local sis 53, rue La Fontaine aux rois, à Paris. Le groupe de sept militants de la cause berbère s'y trouvait chaque vendredi et samedi après-midi. C'était une sorte de laboratoire où tamazight unissait des hommes qui voulaient que leur langue, interdite pendant des années chez eux, retrouve sa place. Mais non pas de manière folklorique. Plutôt en adoptant de grandes oeuvres littéraires et philosophiques telles celles de Molière et de Platon. Le livre a été adapté à Paris mais il a été édité et se vend en Algérie, terre des ancêtres, espace naturel de l'amazighité, devenu langue nationale après des décennies de négation.