Bougies, fleurs, récital poétiques et confessions. Pour la seconde année consécutive, le collectif « hommage à Mohya » a exhumé, l'espace d'une journée, l'œuvre et la pensée du dramaturge et poète d'expression berbère (kabyle), Mohand Ouyahia, de son vrai nom, Abdellah Ouyahia (1950-2004). Compagnons de route, universitaires, poètes ainsi que des anonymes ont bravé le temps pluvieux parisien, en ce jour de la Toussaint, pour se replonger dans le souvenir intarissable de cet homme de talent, à l'occasion du 61ème anniversaire de sa naissance.
La commémoration a d'ailleurs débuté dans la matinée par la lecture d'une poignée de textes poétiques ou theâtrals, composés par Mohya. Au pied de l'immeuble même ou il tenait une épicerie, Rue de la Fontaine au Roi, des bougies ont été allumées à sa mémoire. Dans une commune ferveur, l'assistance a repris l'une des chansons, écrites par Mohya, et interprété par Ali Ideflawen, en l'occurrence : Damahbous di Berrouaguia (Prisonnier à Berrouaghia). Sympathique, émotif et nostalgique…
L'après-midi, c'est au tour des ceux qui l'ont côtoyé dans le cadre des ateliers adaptation-traduction de témoigner, grand moment de retrouvailles, de l'homme et de son œuvre féconde. «C'était un génie. C'était lui qui a réalisé les premières adaptations théâtrales en kabyle», dit Boubekeur Almi lors d'une rencontre à cœur-ouvert organisée à la maison de Culture de Belleville.
De toutes les pièces écrites ou traduites, une quarantaine, on peut citer : Si Pertuff, traduction de la pièce « Tartuffe » de Molière, Muhend Ucaban adaptation de « Le ressuscité » de Lu Sin ou alors Am win Yettrajun Rebbi traduction de la pièce de Bekett « En attendant Godot ». « Il a choisi les adaptations théâtrales, par ce qu'il était dans l'urgence. La création, ça demandait beaucoup temps. Or, il fallait combler le vide culturel de l'époque», confie encore Said Hamache. Autant Mohya usait de sa poésie mordante pour fustiger l'arbitraire du régime, autant il employait son théâtre pour décrier les travers de ses concitoyens. Avec lui, l'on est dans un registre de l'absurde. Du tout-dérision.
Même pour la poésie libre d'expression berbère, poursuit Boubekeur, c'était le pionner. « Il nous a défriché le chemin », résume-t-il. A l'égard du maitre, ses disciples restent redevables. « C'est grâce a lui que je suis devenu un lecteur boulimique. Il était un homme douée d'une surprenante ouverture d'esprit », raconte, quant à lui, Idir Nait Abdellah. Pour Said Hamache qui faisait parti des mêmes ateliers, Mohya, « humble, agréable, d'une rigueur extraordinaire » était sa « seconde famille ».
Seule ombre au tableau à cet hommage convivial : l'opposition qu'exerce les ayants droits, principalement son jeune fils, quant à la poursuite de la publication des œuvres inachevés de ce dramaturge de talent. Son fils refuse de donner son feu vert la publication d'un manuscrit, fruit de travail en commun. « Le livre est prêt, préfacé par sa sœur, Nadia. Le numéro de l'ISBN aussi. Tout ceux qui ont travaillé sur ce manuscrit ont accepté sa publication. Mais, le fils de Mohya oppose son niet », regrette M. Hamache.
Selon lui, d'autres manuscrits sont restés otages chez une autre personne. Ses amis, sans vouloir trop faire dans la polémique, ont regretté toutefois « une volonté de s'accaparer de son œuvre ». D'ailleurs, c'est avec justesse que les membres du collectif ont, exprimé leur crainte que l'héritage de Mohya « tombe dans l'oubli ». En Algérie, l'oeuvre de ce familier de grands auteurs n'est pas citée dans les manuels scolaires, encore moins enseignée dans les établissements universitaires.