La commission constituante présidée par l'islamiste Saad Katatni a été suspendue par le tribunal administratif du Caire La justice égyptienne a décidé hier de suspendre la commission chargée de rédiger la future Constitution, infligeant un revers aux islamistes qui dominent cette instance boycottée par les libéraux. Le tribunal administratif du Caire n'a pas expliqué dans l'immédiat les raisons de sa décision, qui survient dans un contexte politique tendu, six semaines avant l'élection présidentielle. Un recours avait été déposé auprès de la justice administrative par des juristes et des partis politiques libéraux accusant le Parlement d'avoir abusé de ses prérogatives en formant cette commission. L'instance, formée de 100 personnes désignées fin mars par le Parlement -50 parlementaires et 50 non-parlementaires- est principalement composée de membres des Frères musulmans et de fondamentalistes salafistes, très largement majoritaires parmi les députés et sénateurs. «La commission constituante est devenue nulle et non avenue par décision de justice et ne peut poursuivre son travail», a déclaré à la télévision publique Mohammed Nour Farhat, juriste et responsable du Parti démocrate social (libéral). «Le Parlement doit se réunir pour réformer la commission constituante et nous l'invitons à commencer par mettre au point des critères (...) garantissant la représentation équitable de l'ensemble des forces sociales et politiques, pour que la commission ne soit pas dominée par un seul courant politique», a-t-il ajouté. Devant le Conseil d'Etat au Caire, environ 150 personnes ont manifesté pour protester contre la «mainmise» des islamistes sur la commission. «La Constitution n'est pas une question de majorité. L'Egypte restera un Etat civil», proclamait une pancarte, tandis que des manifestants criaient: «Il y en a deux à qui on ne peut pas faire confiance: l'armée et les Frères» musulmans. Ces derniers sont la première force politique d'Egypte depuis qu'ils ont remporté les élections législatives. L'armée quant à elle dirige le pays depuis la chute du président Hosni Moubarak l'an dernier. Les partis laïques se sont retirés de la commission, estimant que leur présence ne faisait que servir de caution aux islamistes pour la rédaction d'une loi fondamentale reflétant leurs options politico-religieuses. La prestigieuse institution d'Al Azhar et l'église copte orthodoxe d'Egypte ont aussi décidé de la boycotter, tout comme la Cour suprême constitutionnelle qui a retiré son représentant en invoquant des «doutes et la confusion» sur sa formation. L'église copte a estimé «inopportun de continuer à être représentée après les réserves de diverses forces politiques sur la façon dont la commission constituante a été composée». Al Azhar a jugé pour sa part «ne pas être correctement représentée». Les islamistes estiment quant à eux que cette commission doit refléter la composition d'un Parlement élu au suffrage universel, où ils détiennent plus de 70% des sièges. Les laïques redoutent que cette mainmise n'aboutisse notamment au renforcement de la référence à la chari'â dans la législation. La commission constituante a six mois pour rédiger une loi fondamentale, qui doit être soumise à référendum. La suspension de cette commission s'ajoute aux tensions et aux incertitudes entourant l'élection présidentielle, dont le premier tour est prévu les 23 et 24 mai. Le processus constitutionnel semble désormais avoir peu de chance d'être bouclé avant le scrutin, ce qui fait craindre que les électeurs aient à choisir un président sans connaître l'étendue de ses pouvoirs. La campagne électorale s'est quant à elle brutalement tendue après les annonces des candidatures controversées d'un haut dirigeant des Frères musulmans, Khaïrat al-Chater, et de l'ancien chef des services secrets de Hosni Moubarak, Omar Souleimane. L'armée a promis le retour complet à un pouvoir civil une fois élu le futur président.