Nous évoquions récemment, dans ces mêmes colonnes, la polémique qui oppose le ministère de la Santé au Syndicat des praticiens de la santé publique à propos des salaires. De ce côté, rien de nouveau à signaler. Toutefois, sur ce même thème des salaires, des développements insolites sont apparus au détour d'une information, pour le moment ni confirmée ni démentie, selon laquelle le président d'un prestigieux club algérois offrirait à un joueur de Sétif, des émoluments qu'aucun déterminant ne peut assurément qualifier. Il est ainsi dit qu'un salaire curieux, rien de moins que huit millions de dinars par mois (vous avez bien lu 800 millions de centimes par mois) - l'équivalent de près de 10 milliards de centimes par an - serait alloué à ce footballeur. Cela représente au moins la charge annuelle d'une société en gratification de ses dirigeants et de dizaines de travailleurs. Un tel salaire, s'il venait à se confirmer, n'a pas de sens, dépasse l'entendement, reste inconcevable. Or, le président de club algérois, par ailleurs dirigeant d'une grosse entreprise de travaux publics, a réitéré lors d'une conférence de presse qu'il continuera sa politique de recrutement de «stars» du football national et sans doute avec les mêmes salaires qui ont défrayé la chronique la saison qui vient de s'écouler. Quoique le Snmg (Salaire national minimum garanti) soit actuellement fixé à 18.000 dinars mensuels, on peut estimer qu'une société privée peut proposer un salaire à la mesure de ses moyens. Le principe est en fait universel. Ce qui ne l'est pas, en revanche, c'est, outre cette façon de piétiner les normes et règles de l'économie, insulter l'intelligence, comme l'esprit même de la rétribution d'un travail donné. Quel est le travail qui mérite des appointements de près d'un milliard par mois? Nous écrivions dans un précédent éditorial, qu'un médecin en fin de carrière (après 30 ans de pratique) touche 80.000 DA (huit millions de centimes) par mois. Or, voilà que l'on offre à un jeune - qui fait son entrée dans le monde du travail spécifique (le sport professionnel) - un salaire mirobolant de 800 millions par mois. Donc cent (100) fois le salaire d'un éminent professeur en médecine. Ou encore, on offre à ce footballeur l'équivalent des rémunérations de 100 médecins. Il n'est nul besoin de dire si cela est normal. En effet, ce n'est plus l'échelle des valeurs qui est ainsi pervertie, mais toute la pyramide du travail qui est dès lors rompue et remise en cause. Plus que de l'extravagance, c'est le système salarial national qui est dénaturé, ouvrant la voie à tous les dérapages salariaux, dans un pays où le Snmg est l'un des plus bas au monde. Outre l'avènement de «fortunes sans cause», c'est la hiérarchie des besoins qui s'en trouve corrompue lorsque les étapes de progression naturelle dans la satisfaction de ces besoins (par la progression des salaires) n'est plus de mise, ni respectée. Après le commerce informel où des gens partis de rien se sont retrouvés à la tête de richesses inouïes, voilà que le football participe à une autre forme de trabendisme, contribuant activement à la dépréciation de la monnaie nationale déjà très mal en point. A l'ouest du pays, un jeune footballeur de 22 ans réclame une prime de transfert de 3 milliards de centimes pour signer dans un autre club. Avec ce curieux professionnalisme à l'algérienne, aucun joueur, fût-il le plus médiocre, n'accepte de signer à moins de 90 millions mensuels. C'est encore plus incroyable lorsque l'on sait que c'est l'Etat - incapable par ailleurs de reconsidérer la valeur du Snmg - qui, au final, paie ces salaires ahurissants par le biais des subventions et des aides des autorités locales (APC, APW, wali) aux clubs de football. Dès lors que l'argent du contribuable contribue à ces salaires hors normes, il est urgent que l'Etat s'en mêle et demande des comptes quant à l'utilisation qui est faite de son aide financière par les clubs professionnels. Peut-il y avoir de fair-play économique dans cette course aux abîmes? Des dérives qui donnent une effrayante image du pays, quand des écarts abyssaux ont accentué le fossé entre une majorité du peuple qui subsiste avec un maigre Snmg face à l'arrogance des détenteurs de l'argent.