Deux semaines après Hubert Védrine, c'est le secrétaire général du Quai-d'Orsay, Loïc Hennekinne, qui arrive à Alger pour relancer des dossiers qui étaient autant de points de discorde dans les relations algéro-françaises. Au même moment, deux ministres algériens, Medelci et Boukrouh, exposent les réformes économiques algériennes au Sénat français. A mesure que la sollicitation américaine grandit envers l'Algérie et à quelques mois des échéances électorales décisives en France, Paris réoriente sa stratégie algérienne en multipliant les contacts afin de dissiper les doutes et d'aplanir les contentieux qui durent depuis des années. La diplomatie française semble se réveiller d'une léthargie profonde en concédant, en l'espace de quelques semaines, ce qu'elle a gelé durant des années. Cette campagne de charme des politiques et diplomates français est sous-tendue par l'exacerbation de la cohabitation droite-gauche où le dossier Algérie est en train de prendre une ampleur considérable. La passe d'armes entre le maire socialiste de Paris, Bertrand Delanoë et les élus de droite sur la commémoration des manifestations du 17 Octobre 1961, a suscité une polémique telle que les observateurs politiques français s'interrogent sur la pertinence d'une future campagne électorale qui serait amputée de son volet algérien. Que ce soit à gauche ou à droite, les politiques français multiplient les gestes symboliques qui remettent l'Algérie au coeur du débat électoral. La réhabilitation des harkis par Jacques Chirac a créé un malaise entre Alger et Paris et a divisé la classe politique française puisque le PS y a vu une tactique de la droite pour se rallier les voix des anciens supplétifs de l'armée française et de leurs descendants. L'hommage de Jospin à ces mêmes harkis n'a fait qu'apparaître l'acuité de ce débat dans la conjoncture actuelle. La commémoration des événements du 17 Octobre 1961 a fait ressurgir de vieux règlements de comptes droite-gauche, comme le fit l'affaire du général Aussaresses où Chirac avait pris de court la gauche en dépossédant l'officier barbouze de son grade et de ses titres de guerre. La première et seconde générations des émigrés algériens en France ont été sensibles à cette confrontation et suivent de près la position des uns et des autres sur la responsabilité coloniale française en se réservant le droit de sanctionner, par les urnes, l'un des deux candidats aux présidentielles françaises qui ne feraient pas cas de leur ressentiment. Le match avorté entre la France et l'Algérie a également réveillé une question identitaire lancinante qui concerne les jeunes beurs qui représentent une frange importante d'électeurs malgré le fort taux d'abstentionnistes. En sifflant la Marseillaise, ces jeunes beurs ont provoqué un profond traumatisme au sein de l'opinion française que certains élus, de la droite à l'extrême droite, ont vite fait d'exploiter sous forme de profits électoraux. C'est également tout le dossier de la marginalisation des banlieues, de l'intégration des Franco-Algériens et de la politique sociale à l'égard des communautés secondaires qui a été pointée du doigt par une droite qui a réussi à déborder les socialistes français accusés d'abandonner ces « électeurs » à leur détresse sociale et économique. Et comme à chaque fois, le déclencheur a un rapport intime avec l'Algérie. Mais c'est indéniablement l'onde de choc des attentats du 11 décembre qui a permis au duel gauche-droite d'exprimer toute la dimension des divergences existantes. Chirac autant que Jospin avaient compris que l'amalgame islam-terrorisme, qui concerne en premier lieu la communauté maghrébine en France, était un enjeu de taille. Le recteur de la Mosquée de Paris, Dallil Boubekeur, n'a jamais été autant sollicité pour faire transmettre les messages aux musulmans de France que le pouvoir français. Elysée et Matignon faisaient en sorte d'être inquiets par les répercussions identitaires, religieuses et xénophobes que ces attentats ont suscitées. Les prolongements de ces débats franco-français trouvent leur véritable expression dans le nouveau rapport que veut instaurer Paris avec les Algériens. Hubert Védrine se déplace à Alger, après ses errements «kabyles», en prônant une écoute aux doléances algériennes, concrétisée par la visite de son adjoint. Chirac se promet de rencontrer le Président Bouteflika en marge du sommet économique de Philadelphie reporté au 31 novembre après lui avoir envoyé un émissaire privé en la personne de Nicolas Sarkozy. Jospin autorise, pour la première fois, l'extradition d'un terroriste, Hamani, ce qui est paradoxal pour un Premier ministre qui affichait vertement son opinion hostile à la situation des droits de l'Homme en Algérie, cheval de bataille de l'Internationale socialiste. Tous ces facteurs font que Paris a recentré sa politique algérienne vers davantage de pragmatisme et d'efficacité. Les Français surveillent de près l'évolution positive des rapports algéro-américains qui se sont considérablement consolidés avec cette crise mondiale. Un intérêt qui sera sans cesse croissant à mesure que la gauche et la droite françaises continueront à s'entredéchirer avec comme toile de fond, un électorat diversement concerné par le dossier algérien.