«J'aurais dû être heureux: je ne l'étais pas.» Marcel Proust Si certains auteurs ont éprouvé de sérieuses difficultés à trouver un point de départ à l'écriture de leur perception de l'histoire de ce pays écartelé entre les différentes composantes de sa très riche et très complexe personnalité, il doit en être de même pour toute narration qui aurait l'ambition de rapporter les faits connus et certifiés, les sentiments des gens qui ont vécu ces années troubles et enfin l'ambiance et les couleurs de cette période confuse comprise entre la signature des fameux accords et le dernier attentat terroriste ou le dernier procès condamnant une journaliste à une peine infamante. Avant de penser à la méthode de narration: un récit linéaire qui suivrait un personnage réel ou fictif dans tous les évènements importants ou bien un découpage à la «Dos Passos» du temps en tranches définies avec la description des faits, des gestes et des personnages sur un parallèle ou méridien donné. A moins que l'on ne préfère un registre comptable, froid et impersonnel, des actions positives et négatives qui ont marqué trois générations de nationaux: ceux qui ont participé ou vu la guerre de Libération, ceux qui ont été bercés par le rêve du socialisme spécifique et enfin ceux qui rêvent d'un «Zodiac» pour mettre fin à leur cauchemar. Je pense qu'avant tout, il faut choisir le titre de cet immense ouvrage qui, à l'exemple de cette riche somme de témoignages collectés par Henri Alleg, doit donner une idée assez précise de ce que fut la vie des Algériens durant un demi-siècle. Evidemment, le titre serait choisi selon la culture, la sensibilité, les sympathies politiques de chacun. J'éviterais tout de suite les clichés comme «Voyage au bout de la nuit» pour des raisons que je vous expliquerai plus tard, ou bien «Le soleil brille, brille» puisqu'il ne brille pas de la même façon pour tout le monde...Il peut cependant arborer le titre d'une épopée où retentiraient bruits et fureurs. A moins de restituer l'ambiance feutrée des couloirs du sérail où favoris et favorites se disputent la place du calife dans un formidable remake des «Mille et Une Nuits»... On pourrait aussi emprunter aux romans policiers noirs qui ont fait le bonheur des lecteurs d'énigmes: «Les parfums de la chambre noire» serait idéal pour illustrer toutes les séries de complots dont a souffert la jeune République dès que les armes coloniales se sont tues, ou bien «L'assassin habite au 21» pour rester fidèle à la célèbre collection «Le Masque» qui a enchanté les années d'études des lycéens qui se morfondaient au fond des lycées du profond pays et pour illustrer le caractère identique des différents personnages qui ont conspiré contre la liberté que les naïfs croyaient recevoir dès la proclamation des résultats du célèbre référendum. C'était mal connaître ceux qui avaient fourbi les armes derrière des frontières internationales pas toujours respectées par les belligérants. En résumé, vu la somme des expériences accumulées par trois générations de grugés, de floués, de roulés (tous les Algériens ne le sont pas puisque certains, une minorité bien entendu, s'en sont très bien sortis), le titre qui conviendrait le mieux à cette immense collecte d'analyses, de commentaires, d'études, de souvenirs précis ou flous, de surprises agréables ou désagréables, serait évidemment le monument de la littérature française, celui où s'entrelacent les souvenirs mêlés du narrateur dans des phrases si longues qu'il faut souvent en refaire plusieurs fois la lecture pour démêler les impressions de l'auteur: comme vous l'avez compris, je viens de parler de «A la recherche du temps perdu» de Marcel Proust.