Il est bien rare que la force soit du côté de la raison, et plus rarement encore de celui de la justice. La grève des lycées, qui fait partie du quotidien de tous les Algériens, connaît un nouveau et grave pic de tension à la suite des mesures «coercitives» décrétées hier par le gouvernement Ouyahia. Au moment où tout le monde s'attendait à voir les deux syndicats invités à la table des négociations afin que la crise soit définitivement réglée, voilà que les pouvoirs publics haussent le ton et brandissent des menaces qui ne risquent rien moins que de mettre le feu aux poudres. Le Cnapest et le CLA, qui avaient déjà tenté l'aventure l'année passée, ont tenu bon cette fois dès la rentrée scolaire. Timidement démarrée, leur grève a vite fait de recueillir l'adhésion de la quasi-totalité de la gent enseignante. Ce qui n'était, au départ, que «le produit d'une poignée d'agitateurs» est devenu un phénomène d'envergure nationale. Il est vrai que les enseignants, comme ils le rappellent bien volontiers à qui veut les entendre, ont longtemps souffert de la marginalisation, de l'absence de protection administrative adéquate et d'un salaire décent, à même de leur garantir leur dignité devant leurs élèves et la société. Durant les premières semaines de ce débrayage, même les parents d'élèves éprouvaient de la sympathie à l'égard de ces revendications. Car, qui voudrait avoir un enseignant pour son enfant n'arrivant même pas à joindre les deux bouts et s'occupant bien plus de ses soucis quotidiens que du cursus de ceux dont il a la charge. Les choses ont commencé à changer petit à petit à mesure que le mouvement prenait de l'ampleur et que l'année blanche se profilait à l'horizon. Une tentative hardie mais quasi désespérée, pour briser la grève et sauver la face, a été entreprise avec le concours de l'Ugta. Sidi-Saïd, dans une déclaration faite à notre journal, à la veille de sa rencontre avec le chef du gouvernement, avait admis que la fédération Ugta de l'éducation avait mal géré ce dossier, ajoutant, quant à lui, se trouver dans une situation peu enviable. Les hausses ordonnées dans les salaires à la suite de cette rencontre, suivie par une autre, entre le ministre et le secrétaire général de la fédération, ont constitué un recul de la part des pouvoirs publics qui, au début du mouvement, ne voulaient pas lâcher un seul centime. Mais sans doute, en fallait-il plus aux grévistes pour lâcher prise. Si ces derniers sont prêts à renoncer à un doublement dans les salaires, ils refusent toutefois que leur «dignité» soit piétinée. Les pouvoirs publics avaient une chance en or de désamorcer le mouvement en recevant les meneurs en tant que syndicats autonomes, afin que toutes les arrière-pensées politiciennes (si tant est qu'il en eut existées) soient définitivement évacuées. Les grévistes ont à leur actif le fait que les quelque 50.000 grévistes ne se soient pas contentés des 5000 dinars d'augmentation dans les salaires, voulant au contraire que leurs représentants, qui se trouvent derrière cette victoire, soient reconnus en tant que tel. Il n'en a rien été. L'impasse s'est profilée, sans que les deux parties en conflit ne veuillent faire la concession à même de sauver l'année scolaire et le début d'application de la réforme. C'est dans une situation aussi inextricable qu'est intervenue la série de mesures d'Ouyahia. Celles-ci ouvrent la voie à des dérives pour le moins incommensurables au moment où la Kabylie, avec son ultimatum, revient occuper le devant de la scène méditico-politique. A qui donc peut bien profiter ce pourrissement quasi programmé à quelques mois à peine d'une présidentielle déterminante mais à haut risque?