Le CNAPEST REAGIT AUX MESURES DU GOUVERNEMENT “Ouyahia se trompe d'époque” La décision finale de poursuivre ou d'interrompre la grève sera prise demain, à l'issue d'une rencontre nationale à Alger. Lors d'une assemblée générale tenue, hier, au siège du CNES à Alger, le président du Cnapest a répondu aux mesures prises, lundi, à l'issue du Conseil de gouvernement. “M. Ouyahia s'est trompé d'époque, car il ne mesure pas la détermination et la volonté des enseignants à arracher le droit à la dignité”, a déclaré Mériane. “Ces menaces ne font qu'ajouter de l'eau à notre moulin. Nous le défions d'appliquer de telles décisions”, insiste le syndicaliste. Les représentants de syndicat appellent la justice à juger le ministre du travail, M. Louh, pour violation de l'article 56 de la Constitution, qui donne le droit aux algériens de se constituer en syndicat. Ils avaient également, reproché à l'Exécutif d'avoir bafoué les conventions internationales, en matière de pluralisme syndical, ratifiées bien entendu par l'Algérie. Le gouvernement avait accusé les syndicalistes d'entraver le droit constitutionnel à l'enseignement, tout en qualifiant la poursuite de la grève de manipulation politique. Il faut savoir, que le corps du secondaire représente plus de 58 000 enseignants. La perspective de recruter des enseignants universitaires fraîchement diplômés pour les remplacer, est considérée par les animateurs du Cnapest comme “une folie et une utopie” “Il a fallu 40 ans pour former les PES algériens. Si, maintenant, le gouvernement veut nous remplacer, il faudrait qu'il fasse appel aux coopérants. Il refuse de payer en dinars et par cette logique, il payera en dollars”. Il est à rappeler que le Cnapest avait décidé de reconduire sa grève pour une semaine à partir de samedi prochain, lors d'un conseil national tenu, dimanche dernier, à Béjaïa. Face à cette nouvelle donnée, une assemblée de toutes les wilayas est programmée pour demain, à Alger, pour décider de la suite à donner à ce mouvement. Cependant, lors du regroupement d'hier, qui a réuni les délégués des 22 wilayas, la tendance était à la poursuite de la grève. Cependant, les débats doivent continuer au niveau de la base qui doit être consultée en attendant la rencontre nationale de vendredi. Après sept semaines de grèves et au moment où l'on s'attendait à des gestes d'apaisement, d'autant plus que les négociations n'avaient pas abouti, le gouvernement a choisi la manière forte en menaçant de représailles assez sévères dont des radiations du corps. Le coordinateur du syndicat ne cache pas ses inquiétudes quant à la tournure que risque de prendre cette situation. Il estime que “nos gouvernants semblent prendre les choses d'une manière immature” et ne mesurent pas, selon lui, la gravité de la situation : “Ils veulent qu'on aille se présenter devant nos élèves sous la pression et les menaces. Ils veulent une présence physique. Pourrions nous transmettre le savoir dans ces conditions ?”, souligne le coordinateur de ce mouvement. M. Mériane considère, personnellement, que le combat engagé par les professeurs est légitime et porteur pour le bien de l'Algérie. Il refuse de reculer devant ces menaces qui n'apporteront rien de bien, ni pour le corps des enseignants et encore moins pour les élèves. Ces derniers qui subissent de toute façon le diktat des uns et des autres auront certainement du pain sur la planche, car les rattrapages sont extrêmement difficiles et de l'aveu même du conseiller du ministre de l'éducation “la situation est à la limite de l'irrécupérable”. Il reste à savoir, si au delà de cet aveu, on a réellement pensé au ministère de l'éducation et à l'avenir de milliers de lycéens, dont nombreux sont les futurs candidats au Bac. Mourad Belaïdi Les syndicats autonomes des lycées maintiennent la pression “Nous refusons cet arsenal répressif” Les enseignants grévistes ont jusqu'à samedi pour reprendre les cours, faute de quoi, ils seront considérés en abandon de poste et rayés des effectifs de l'Education nationale. Jamais dans l'histoire de l'Education nationale, une grève d'enseignant n'a vu un tel bras de fer. En dépit de la forte adhésion des enseignants au mouvement de protestation, le gouvernement persiste et signe en déclarant, une nouvelle fois, appliquer des mesures extrêmes pour résoudre cette crise. Il a également menacé de traduire en justice les responsables des deux syndicats autonomes pour entrave au droit constitutionnel à l'enseignement et de radier de la famille de l'Education tous les enseignants contestataires, qui ne reprendront pas les cours après l'aïd. “Nous refusons cet arsenal répressif du chef du gouvernement, nous ne céderons pas aux intimidations”, a répondu Redouane Osman, porte-parole du CLA. Devant ces décisions, les syndicats autonomes — le conseil des lycées d'Alger (CLA) ainsi que le conseil national autonome des professeurs de l'enseignement secondaire et technique (Cnapest) — sont en effet, déterminés à mener leurs revendications jusqu'à l'aboutissement et rejettent toute forme de menace et d'intimidation. D'après le responsable du CLA, le débrayage risque de se poursuivre après l'Aïd, mais cette décision revient à la base du conseil qui se réunira en assemblée générale demain. Redouane Osmane considère que les instructions ordonnées par le chef du gouvernement sont “une menace directe contre les enseignants grévistes qui usent du droit de la grève tel qu'il est défini par la Constitution et la loi 90.02”. Selon lui, le gouvernement n'a “nullement le droit d'user des droits spéciaux pour s'autoriser l'abus de pouvoir et l'interprétation des lois”. “Cet appel est l'expression d'une volonté liberticide, c'est un viol des principes fondamentaux de la Constitution et de la loi de la République. La prohibition du droit de grève est du domaine du législatif non d'un gouvernement exécutif”, affirme le secrétaire du CLA qui ajoute : “Par cette attitude, le gouvernement criminalise le droit de grève que les citoyens algériens ont consacré comme une liberté fondamentale, portant ainsi atteinte aux lois sociales de notre pays.” La base du conseil des lycées d'Alger estime que la réaction tardive du chef du gouvernement est l'expression d'une solidarité avec son ministère, non d'une inquiétude face au pourrissement de la situation. Par ailleurs, les syndicalistes lancent un appel à la société civile, aux parents d'élèves, aux syndicats et aux élèves, afin de réagir contre ces mesures. Nabila Afroun Radiation des enseignants Un pédagogue en parle Interrogé à ce sujet, un pédagogue qui tient à garder l'anonymat, estime que la menace de licenciement ne sera jamais exécutée. “Il s'agit là, de mettre à la porte au minimum 20 000 professeurs. Outre la sympathie dont jouiront les licenciés dans leur lutte contre la mesure et contre le chef du gouvernement, il faudra penser à trouver autant d'enseignants. Quand on connaît la lourdeur administrative de notre pays, cela équivaudra au choix de l'année blanche, mais décidée cette fois-ci par ceux-là mêmes, qui, encore hier, se lamentaient sur le sort des enfants. Le gouvernement devra alors faire face aux grévistes, aux élèves et à leurs parents. Politiquement, cela jouera contre un système qui fait tout pour que le Président remporte un deuxième mandat”, déclare le même spécialiste des sciences de l'éducation. Ce dernier juge que tout diplômé de l'enseignement supérieur n'est pas pour autant apte à enseigner : “enseigner, n'est pas un métier, mais un sacerdoce. Par ailleurs, il ne faut pas négliger la somme d'expérience que comptabilise chacun des grévistes. Non, il est impossible de trouver des milliers d'enseignants en un temps record, même s'il y a une armée de diplômés en chômage”. Par ailleurs, il n'oublie pas de rappeler que la grève est un droit constitutionnel, et aucune disposition ne prévoit d'en exclure les enseignants : “les tribunaux annuleront ses décisions”. Concernant le rattrapage du temps perdu pour éviter l'année blanche, notre interlocuteur demande comment réaliser cette prouesse sans léser les capacités d'apprentissage des élèves. “L'année scolaire prend en considération le surmenage des lycéens, et c'est pourquoi à la fin de chaque trimestre, un congé de deux semaines au minimum est observé. Est-il possible alors de dispenser des cours sans aucune relâche ? Je dirai qu'il s'agit d'une mesure antipédagogique, à moins de reporter la date de l'examen du bac. Il faudra alors faire vite pour dénouer la crise avant qu'il ne soit trop tard”, conclu-t-il. Saïd Ibrahim Le CCDR réagit “Le pouvoir est irresponsable” “L'escalade se poursuit. Le pouvoir politique fait preuve d'une irresponsabilité totale. Après les tentatives vaines de musellement de la presse et d'instrumentalisation de la justice, la chasse aux sorcières balayant cadres, responsables et chefs d'entreprise, il s'attaque à un autre joyau du pays : les éducateurs. Le dialogue refusé depuis l'année dernière a tourné, ces jours-ci, à un simulacre de contacts avec une décision qui aurait gagné à être prise l'été dernier, durant la préparation de la rentrée scolaire, une décision qui met de côté d'autres préoccupations importantes du monde de l'éducation, et ignore toutes les demandes de garanties formulées par les enseignants, notamment la reconnaissance d'un droit constitutionnel inaliénable : le droit syndical. La confiance a fait place à une légitime méfiance que le pouvoir a été incapable de dissiper. Pis, il recourt à des solutions radicales et répressives des plus dangereuses, avec une année blanche qui se précise. Il fait des étudiants, des “jaunes”, briseurs de grève, mettant ainsi en œuvre une solution irréaliste, irresponsable, incompatible avec les règles de l'éthique et de la déontologie, preuve d'une ignorance totale des exigences de la formation et de la pédagogie. Diviser pour régner est sa devise, dressant les enseignants contre universitaires, parents contre éducateurs. Le CCDR met en garde le pouvoir politique contre les conséquences à venir, de graves décisions qu'il envisage d'appliquer, mettant en jeu l‘avenir de millions d'élèves et sacrifiant des milliers d'enseignants, pour lesquels le pays a tant investi et qui ont tant donné à l'Algérie. Il doit impérativement surseoir aux mesures répressives annoncées, accepter la déclaration de syndicats légitimement portés par la majorité des enseignants, donner des gages réels à leurs légitimes revendications pour assurer une reprise des cours dans la sérénité. Sinon, il court à l'irréparable, poussant à la révolte générale. Il assumera pleinement les suites désastreuses de sa gestion irresponsable. Et il devra partir. La similitude entre l'Algérie de Bouteflika et la Géorgie de Chevardnadze est à méditer.” Abdelhak Bererhi Après l'ultimatum lancé aux enseignants grévistes Les onze injonctions du gouvernement À travers cette spectaculaire batterie de mesures répressives, Ouyahia entend reprendre l'initiative dans cette crise de l'éducation qui dure depuis 7 semaines. Au lieu de s'efforcer de gérer et de régler définitivement la crise qui secoue l'enseignement secondaire, le gouvernement s'est encore une fois, précipité à user de la force pour contraindre les enseignants à rejoindre leur poste à compter de samedi. Faute de quoi, une batterie de mesures qui s'apparentent à la répression, sera appliquée à l'encontre des PES grévistes. Immédiatement après le Conseil de gouvernement de lundi dernier, le département ministériel chargé de cette mission n'a pas tardé à mettre à exécution l'ultimatum d'Ouyahia et de le faire accompagner de mesures d'application sur le terrain. En effet, une instruction datée du 24 novembre et signée par le secrétaire général du ministère de l'Education a été immédiatement envoyée à l'inspection de l'académie d'Alger et aux directeurs de wilaya de l'éducation. Le texte paraphé par M.Teboune ne comporte pas moins de 11 injonctions à appliquer à l'encontre des enseignants qui persistent dans leur mouvement de débrayage. Les deux premiers points de l'instruction traitent des actions à prendre par les proviseurs de lycée pour faciliter le retour des enseignants grévistes qui souhaitent reprendre le travail samedi. Le troisième porte sur les mesures à prendre à l'encontre de ceux qui refusent de rejoindre leur poste. Il est clairement mentionné dans l'instruction que ces derniers seront “considérés en abandon de poste, et des décisions de radiation seront immédiatement exécutées contre eux et ce, par un avis de radiation”. La grosse artillerie que le gouvernement a décidé de mettre en branle ne s'arrête pas là. La quatrième injonction exige en effet des PES qui n'abdiqueront pas, de “lâcher leur poste”. “Ils sont tenus de quitter l'établissement”, précise le texte. L'injonction numéro 5 est liée aux aspects administratifs pour mettre fin aux fonctions de ceux qui ne lâcheront pas prise. “Il faudra informer tout enseignant gréviste après l'expiration de l'ultimatum de la décision de sa radiation immédiatement(… )et ce, soit en remettant directement une copie au concerné ou en l'envoyant par courrier”, peut-on lire. Les deux dispositions suivantes expliquent aux responsables de l'académie et de l'éducation, les actions à mettre en branle à l'encontre des grévistes qui tenteraient de se regrouper ou d'organiser des réunions dans les locaux des établissements, ou encore à l'encontre de ceux qui essaieront d'empêcher d'autres PES qui souhaiteraient rejoindre leur poste. Pour cela, les responsables d'établissement “informeront le wali de la situation pour prendre des mesures nécessaires”, lit-on encore dans l'instruction de Teboune. Il n'est donc pas exclu de recourir à la force publique pour dissuader les grévistes. L'injonction no 8 développe des procédures liées au recrutement au pied levé des diplômés universitaires en remplacement des enseignants “en abandon de poste”. Le recrutement devra ainsi intervenir 24 heures après la date de radiation. Quant à la disposition no 9, elle donne en fait, plus d'attributions au proviseur de lycée en lui conférant les pouvoirs de remplacement et de recrutement. “Il sera accordé au proviseur de lycée l'initiative de recrutement, en attendant la finalisation de la procédure de recrutement au niveau de la Direction de l'éducation, et la priorité sera donnée aux classes de terminale”, est-il mentionné dans le texte. La dixième mesure exige des directeurs de lycée d'informer quotidiennement la direction de wilaya de l'évolution de la situation et des besoins de recrutement en fonction des disciplines requises. Le dernier point traité dans l'instruction de Teboune résume les mesures à adopter et pour assurer le bon déroulement de la reprise des cours aussi bien pour les élèves que pour les enseignants. Ces mesures qui sont au nombre de 10 traitent des dispositions et des actions à mener au niveau des établissements. Les personnels pédagogique et administratif sont appelés à se mobiliser pour la réussite de l'opération. Ainsi donc, les proviseurs sont invités à dresser des rapports circonstanciés à la tutelle sur l'évolution de la situation. À travers cette spectaculaire batterie de mesures répressives, le gouvernement Ouyahia entend reprendre la main et l'initiative dans cette crise de l'éducation qui dure depuis 7 semaines. L'on s'interroge cependant sur la faisabilité de ces mesures prises et à exécuter sur le terrain pour remplacer plus de 50 000 PES grévistes... R. H. La radiation des grévistes prendra effet samedi Jusqu'où ira le pourrissement ? Jusqu'où iront les pouvoirs publics dans l'exécution des mesures coercitives décidées lundi dernier en Conseil de gouvernement ? Les menaces de suspension et de radiation brandies serviront-elles uniquement d'épouvantail susceptible de faire peur aux enseignants grévistes et les contraindre à arrêter le mouvement de protestation en cours depuis huit semaines, ou s'agit-il d'un réel coup de force qui conduira, en cas de poursuite de la grève, au châtiment des contestataires, soit au licenciement de plus de 50 000 professeurs de l'enseignement secondaire ? Une telle décision, si elle venait à s'appliquer, aurait des conséquences désastreuses. Au lieu de régler la crise, elle l'amplifierait et pourrait provoquer un véritable soulèvement dans le secteur de l'éducation. Jamais auparavant, le gouvernement n'avait poussé sa logique répressive aussi loin. En décidant de mettre à la porte un aussi grand nombre d'enseignants, il accentue davantage la fracture sociale. Pour autant, une telle perspective ne semble pas l'inquiéter outre mesure. Le chef de l'Etat en personne se serait impliqué dans la crise de l'éducation pour demander que tout soit entrepris, y compris le pire pour qu'il soit mis fin à la grève dans les plus brefs délais. “Débrouillez-vous ! Les enfants doivent retourner à l'école dès samedi”, aurait-il ordonné à l'Exécutif. Dans le communiqué rendu public lundi à l'issue du Conseil de gouvernement, les parents d'élèves sont également appelés à contribution pour veiller à ce que les lycéens rejoignent les établissements scolaires samedi prochain. Cependant, ces parents accepteront-ils de confier leurs enfants à des diplômés universitaires débutants au cas où les grévistes persistent dans leur action et essuient de ce fait les foudres de l'administration ? Rien n'est sûr. À plusieurs occasions, ils se sont déclarés opposés à une démarche de ce genre qui tendrait à assurer la scolarité des lycéens, notamment les candidats au baccalauréat par des professeurs inexprimentés. Ainsi, il est malheureux de constater que le souci apparent des autorités de porter secours aux milliers d'élèves pris en otages n'est qu'une préoccupation formelle. En voulant à tout prix prévenir l'année blanche, elles mettent véritablement leur avenir en jeu. Pourtant, d'autres solutions que le recours à la manière forte auraient pu prémunir la communauté scolaire de cet aventurisme. À ce chapitre, les pouvoirs publics ont hélas montré leur indisponibilité au dialogue. Quand il a accepté après plusieurs semaines de débrayage de recevoir les représentants des grévistes, le ministère de l'Education s'est contenté de leur rappeler l'illégalité de leur action et les inviter à la reprise. Pourtant, bien qu'ils soient forts de la réussite de leur mouvement, ces syndicalistes ont accepté de faire des concessions. Autant, les responsables du Conseil des lycées d'Alger (CLA) que ceux du Conseil national des professeurs de l'enseignement secondaire et technique (CNAPEST) ont accepté de se défaire de leur casquette syndicale pour voir aboutir les revendications des enseignants, à savoir la plus importante relative à l'indexation de la prime de qualification sur le salaire de base. Rien n'y fit. Le gouvernement a décidé avec la caution de l'UGTA de la nature et du montant des augmentations salariales. Pour lui, la plus grande priorité n'a rien d'éducatif. Elle est d'essence politique dans la mesure où l'unitarisme syndical est préservé. Samia Lokmane