«Au carnaval tout le monde est jeune, même les vieillards. Au carnaval tout le monde est beau, même les laids.» Nicolaï Evreïnov On croit souvent, et à tort, que Hollywood a tout inventé en matière de scénarios cinématographiques. C'est vrai que la puissante industrie où les gags se font à la chaîne avec la même cadence que celle qui prévalait jadis dans les usines Ford, a beaucoup innové en mettant sur pied des histoires où l'audace le dispute à l'extravagance. C'est le cas des films de catastrophes où se sont spécialisés certains auteurs: la société bien nourrie et à l'aise dans ses certitudes se trouve confrontée à des situations périlleuses. La phobie de l'avion a beaucoup inspiré les scénaristes et le succès de ces films où les voyages d'agrément tournent au cauchemar a incité les maisons de production à récidiver plusieurs fois dans la même veine, histoire de secouer un peu les futurs obèses qui carburent au pop-corn. " Y a-t-il un pilote d'avion " dont le scénario est une parodie d'un film qui date de 1957 (A l'heure 0) a donné naissance à une nombreuse lignée: Y a-t-il un flic pour sauver la reine? Y a-t-il un flic pour sauver Hollywood? Y a-t-il un flic pour sauver l'humanité? La constante de ces bégaiements est la série de situations impossibles dans lesquelles se débattent des personnages qui n'étaient pas, au départ, préparés à cela. La surexploitation d'un même filon finit par épuiser la veine mais, au passage, les producteurs auront ramassé un joli magot. C'est ce qui s'appelle, avoir le sens des affaires. Des bonnes affaires bien entendu. C'est ce qui manque hélas à nos scénaristes si rares sur la place publique: d'abord, pourquoi ne tournerions-nous pas un film sur la tragique situation que vit le secteur audiovisuel en écrivant une histoire sur l'absence de scénaristes dans un complexe processus de production où la censure joue un rôle non négligeable dans la castration des inspirations ou dans l'annihilation de toute velléité à produire des oeuvres originales? Mais revenons aux choses sérieuses, comme le disait si bien, mon ami Hachemi Souami au temps où la censure avait la matraque au bout des ciseaux. L'évocation de l'excellent film de Mohamed Oukaci, «Carnaval fi dechra» est l'exemple même de la non-utilisation d'un succès qui secoue la Toile au point que toutes les situations ubuesques et tous les scandales politico-économiques qui ôtent toute crédibilité à la gestion des affaires de ce pays sont tous intitulés: carnaval fi dechra. C'est une excellente chose que de chercher à brocarder les moeurs politiques du parti unique quand les élus de la double liste unique faisaient la pluie et le mauvais temps. Il est utile de remémorer aux jeunes générations les temps glorieux où chaque commune dotée d'un patrimoine foncier avenant est soumise à la loi dite des «douze salopards», tous membres du conseil municipal, qui se partagent les assiettes de terrains et offrent la part du lion à leurs parrains. En échange, ils entretiennent une tradition folklorique où le patriotisme de façade et la langue de bois font bon ménage. Je me rappellerai toujours cette anecdote: prenant un café à la terrasse d'un établissement situé en face d'une mairie, je sentis tout d'un coup quelqu'un me tapoter l'épaule. Sans se présenter, il me demanda dans un accent bizarre où se situait le café des S-A... Cet individu, qui portait un tatouage vert en forme de croix sur la tempe, voulait à coup sûr parler des habitants de cette héroïque ville située sur la frontière où les contrebandiers sont mieux organisés que les gabelous... J'ai compris alors que le rustre en question devait faire partie des heureux bénéficiaires de lots de terrains du coin et qui ont la chance d'être nés dans la même ville bénie que le DEC d'alors... Cet exemple peut être reproduit à tous les échelons de l'administration et des institutions et peut donner un feuilleton qui alimentera mieux les soirées ramadhanesques que les sketchs-chorbas qu'on a l'habitude de nous servir. Et on peut multiplier les carnavals dans tous les espaces où la politique et la corruption font bon ménage: fi eddechra, fil madina, fil mou'assassa, fil djam'aïa, fil ouizzara... Je m'arrête là!