Des dizaines de milliers d'anonymes se sont rassemblés sur l'immense place Meskel, au centre de la capitale Addis Abeba, pour accueillir l'attelage qui a amené le cercueil, drapé du drapeau national. L'Ethiopie enterrait hier celui qui l'a dirigée sans partage pendant 21 ans, Meles Zenawi, devant les dirigeants africains pour qui il était un visionnaire du développement du continent et en présence de son successeur désigné, le quasi-inconnu Hailemariam Desalegn. Protégé par des ombrelles dorées, les dignitaires de l'église orthodoxe - majoritaire en Ethiopie - ont célébré un premier service à la mémoire de l'ancien chef de guérilla marxiste, qui devait être enterré au pied de la cathédrale de la Sainte Trinité, où repose déjà le dernier empereur d'Ethiopie Hailé Selassié. Les premières funérailles nationales organisées pour un dirigeant éthiopien depuis 80 ans ont également marqué la passation de pouvoir attendue à la tête du pouvoir traditionnellement opaque de ce pays. Premier orateur d'envergure à s'exprimer, le successeur désigné de Meles, Hailemariam Desalegn, a promis de poursuivre l'oeuvre de l'ancien homme fort du pays. «Toutes les initiatives (de Meles) seront développées, tous les plans de transformation (du pays) iront de l'avant», a déclaré l'actuel Premier ministre par intérim, qui doit encore être confirmé dans ses fonctions par le Parlement, à une date toujours pas annoncée. «La vision de notre Premier ministre (décédé) est également la vision de tous les membres de l'EPRDF (coalition au pouvoir), et elle sera mise en oeuvre avec la participation active du peuple éthiopien», a assuré M.Hailemariam. Cet ingénieur de formation de 47 ans a été promu numéro deux du régime en 2010 par Meles, dont il ne partage pourtant ni la religion, ni l'origine communautaire, ni le passé de guérilla. Toute de noir vêtue, la veuve de Meles, Azeb Mesfin, ancienne camarade de guérilla et aujourd'hui parlementaire, écoutait, assise au premier rang sur l'estrade. Meles Zenawi est décédé le 20 août dernier à 57 ans dans un hôpital bruxellois après avoir dirigé sans partage l'Ethiopie depuis qu'il avait renversé le dictateur Mengistu Haile Mariam en 1991. Le gotha des chefs d'Etat du continent ont assisté aux funérailles de l'ancien homme fort du deuxième pays le plus peuplé d'Afrique sub-saharienne avec 84 millions d'habitants: les présidents d'Afrique du Sud Jacob Zuma, du Nigeria, Goodluck Jonathan, du Soudan, Omar El Bechir, du Soudan du Sud, Salva Kiir, de Djibouti, Ismail Omar Guelleh, du Rwanda, Paul Kagame, de Tanzanie, Jakaya Kikwete, d'Ouganda, Yoweri Museveni et de Somalie, Sharif Cheikh Ahmed. Le seul grand absent était le président de l'Erythrée, Issaias Afeworki, ancien camarade de lutte de Meles contre le régime de Mengistu, devenu son ennemi juré depuis une guerre fratricide entre les deux pays qui a fait au moins 70.000 morts entre 1998 et 2000 pour un différend territorial relativement mineur. «Avec Meles Zenawi aux commandes, une génération d'Ethiopiens est sortie de la faim et de la misère», a affirmé M.Zuma à la tribune. «Il était connu pour son rôle moteur et la conséquence de sa politique est que l'Ethiopie n'est plus une des nations les plus sous-développées», a renchéri le président béninois, Thomas Boni Yayi, président en exercice de l'Union africaine. «Meles vous a montré la voie à suivre, avec son parti (...). Je vous en prie, poursuivez cette voie, sa vision est la bonne», a déclaré aux hiérarques éthiopiens le président ougandais Yoweri Museveni, autre vétéran au pouvoir en poste depuis 1986, citant les efforts entrepris par le pays pour rattraper son retard en matière d'électrification ou d'éducation. Les chefs d'Etat africains ont tous vanté le rôle pionnier de Meles dans le développement économique de l'Ethiopie - le pays se targe de flirter avec une croissance à deux chiffres depuis huit ans - dans la recherche de plus de stabilité dans la région troublée de la Corne de l'Afrique, et dans la lutte contre le réchauffement climatique.