On en arrive à se poser la question de savoir si Bouteflika a fait le bon choix en le nommant à la tête du gouvernement. La radiation des enseignants grévistes, décidée par le gouvernement, émane directement d'Ouyahia, ont révélé à L'Expression des sources sûres, qui précisent que le dossier de la grève est piloté par le chef du gouvernement lui-même, et ce, depuis le début de la crise. Ces mêmes sources insistent sur le fait que le refus d'agréer le Cnapest est le fait d'Ahmed Ouyahia. Connu pour son style tranchant, le chef du gouvernement, nommé à la veille du séisme de Boumerdès, avait en principe pour mission de calmer le front social aux fins de réunir les conditions nécessaires à la tenue de l'élection présidentielle dans un climat sociopolitique serein. C'est ainsi que dès sa prise de fonction, il appelle les archs à un dialogue sincère et invite la centrale syndicale et le patronat à une bipartite, puis à une tripartite. La célérité dont il a fait montre dans la gestion des principaux dossiers plaidait justement en faveur d'une volonté de sa part d'effacer l'image quelque peu détestable qu'il a laissée auprès de l'opinion lors de son premier passage à la tête du gouvernement, où les Algériens retiennent les ponctions sur les salaires, le licenciement de plus de 400.000 travailleurs et l'emprisonnement de milliers de cadres de la République. Or, il semble que l'homme assume pleinement ses décisions au point de se mettre, encore une fois, tout le monde sur son dos. Il y a eu d'abord l'affaire de Khalifa Bank, où devant les députés de la nation, il n'a pas hésité à tirer la dernière salve qui a provoqué l'écroulement de l'empire Khalifa. Les millions de petits déposants, les 20.000 travailleurs du groupe et une bonne partie de l'opinion publique ont relevé le ton plus que sévère employé par Ouyahia qui ne semblait pas touché par la dimension sociale de la catastrophe financière sans précédent dans l'histoire de l'Algérie indépendante. C'est en homme froid que le chef du gouvernement traite les questions les plus brûlantes. Mais il passe pour être un politicien calculateur. C'est ainsi qu'il a misé sur deux questions essentielles pour gagner la sympathie des Algériens. La bipartite et le dialogue pouvoir-archs constituaient, pour lui, les deux clés susceptibles de lui ouvrir le coeur des Algériens et, par là même, effacer le passif négatif qu'il traîne comme un boulet l'empêchant de briguer un mandat électif. Aussi, coup sur coup, Ouyahia joue franc jeu avec le mouvement citoyen et cède aux exigences de la centrale syndicale en procédant à des augmentations substantielles des salaires de millions de fonctionnaires et revoit le Snmg à la hausse. Il pensait avoir réussi sur les plans social et politique, en abordant de front les deux sujets qui menaçaient la stabilité du pays. C'était cela sa principale mission. Or, force est de constater que le chef du gouvernement a fait chou blanc sur ces dossiers. En effet, par rapport au dialogue avec les archs, on en est encore au point mort. Une tendance du mouvement lui fixe un ultimatum alors que la seconde rejette purement et simplement son invitation. Quant au plan social, la grève des lycées témoigne de l'échec patent de la démarche de l'Exécutif qui a vraisemblablement sous-estimé l'importance de la grogne dans les milieux professionnels. Cela sans parler des autres corps de métier qui ont vécu de nombreux débrayages. N'ayant pas réussi à gagner la sympathie du monde du travail et de la Kabylie, Ouyahia aggrave son isolement au plan politique. On en a pour preuve la levée de boucliers constatée dans la sphère politique au lendemain de sa nomination à la tête du gouvernement. En effet, son départ est l'une des conditions primordiales des candidats potentiels à la prochaine élection présidentielle. En fait, à quatre mois du rendez-vous électoral le chef du gouvernement n'a pour ainsi dire pas du tout balisé la voie au chef de l'Etat. Bien au contraire, ses mauvaises appréciations de la donne sociopolitique ont a fait que la situation s'est compliquée depuis qu'il est à son poste. Et les milliards de DA distribués pour acheter la paix sociale n'auront pas servi à grand chose. On en arrive à se poser la question de savoir si Bouteflika a fait le bon choix en la personne d'Ouyahia. Ce dernier a multiplié les ratés et ce n'est pas les 6% de croissance qu'il a annoncés qui y changeront quelque chose, d'autant que ce résultat, il le partage avec son prédécesseur Ali Benflis. Au point où en sont les choses, une rupture Bouteflika-Ouyahia n'est pas pour déplaire au chef de l'Etat auquel il reste très peu de temps pour rattraper le temps perdu.