Le secrétaire d'Etat américain, arrivé hier à Tunis, sera aujourd'hui à Alger où il aura des discussions politiques avec les responsables algériens. Placée en sandwich entre une tournée éclair en Europe, où il assista hier à la conférence de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (Osce), et la réunion, demain à Bruxelles, des ministres des Affaires étrangères de l'Otan, la visite du secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, au Maghreb prend les allures d'un événement assez singulier pour les Maghrébins. Et pour cause! C'est bien la première fois, depuis de nombreuses années, qu'un responsable politique américain de ce niveau se déplace dans trois pays du Maghreb à la fois. Entamée hier à Tunis, la visite du chef de la diplomatie américaine est menée au pas de charge, M.Powell était dans la soirée d'hier à Rabat où il passa la nuit, et terminera aujourd'hui à Alger cette démarche marathon. Qu'attend Colin Powell des Maghrébins, et surtout que peuvent espérer ces derniers des Etats-Unis? Certes, il sera question du partenariat américano-maghrébin, mais plus sûrement il sera davantage question de ce que Washington attend du Maghreb, en matière des droits de l'Homme - l'un des thèmes, indique-t-on au Département d'Etat, qui sera soulevé par M.Powell - de la lutte anti-terroriste, l'une des priorités de l'administration Bush et certes de question de développement et de partenariat commercial et économique. Il ne fait pas de doute aussi que la question du Sahara occidental sera abordée par M.Powell lors de ses entrevues avec les responsables algériens et marocains. Mais, gageons, que le secrétaire d'Etat américain sera celui qui va parler et que les Maghrébins auront à écouter. Ainsi, avant son départ pour le Maghreb, M. Powell est interpellé par l'Organisation américaine de défense des droits de l'Homme, (Human Rights Watch, HRW), qui attirait son attention sur le fait «qu'il est capital que vous souleviez de façon franche les problèmes des droits de l'Homme dans ces trois pays et disiez quelles améliorations concrètes peuvent être apportées». En fait, HRW invite le secrétaire d'Etat américain, pour ce qui est de l'Algérie, à «demander, (aux autorités algériennes), des éclaircissements sur les milliers de cas de disparitions», imputées aux forces de sécurité dans les années 90. Faisant référence à la demande de HRW, le porte-parole du Département d'Etat, Richard Boucher, dans une déclaration à la presse a indiqué qu'«une partie du programme du secrétaire d'Etat en Afrique du Nord consiste à encourager le processus d'ouverture, de démocratisation qui est en cours dans chacun de ces pays de différentes manières». C'est la première fois que Colin Powell se rend en Algérie et en Tunisie, depuis sa nomination à la tête de la diplomatie américaine, alors qu'il a déjà séjourné au Maroc en avril de l'an dernier. Cette visite du secrétaire d'Etat américain, coïncide également avec la tenue à Tunis, du 3 au 5 décembre, du sommet des 5+5 (les cinq Etats sud-européens et les cinq pays de l'UMA). Pour les Etats-Unis, le Maghreb a pris une position stratégique importante, voire vitale, d'où la volonté d'asseoir une présence américaine permanente dans cette région. Une présence physique au Maghreb, qui constitue pour Washington un des enjeux de l'heure, dans une région qui occupe une position stratégique à la charnière entre l'Afrique, l'Europe et le Monde arabe, d'autant plus que, pour des raisons historiques évidentes, les Maghrébins étaient plus volontiers tournés vers l'Europe. De fait, lors de la constitution à Barcelone en 1995, du groupe euro-maghrébin, des 5+5, les Européens, la France notamment, se sont arrangés pour évincer les Etats-Unis du processus de Barcelone, quoique, par leur flotte en Méditerranée et leurs commandements en Europe, les USA soient très présents dans le sous-groupe de la Méditerranée occidentale. Par ailleurs, l'avènement du phénomène du terrorisme a mis davantage en valeur l'Afrique du Nord, d'où les Américains sont paradoxalement absents. Déjà, à l'époque de l'administration démocrate de Bill Clinton, les Américains ont tenté de réparer cette lacune par des approches et propositions précises faites en direction des pays du Maghreb, plus particulièrement l'Algérie, le Maroc et la Tunisie. C'est aussi à cette époque que le sous-secrétaire américain au Commerce, Stuart Eizenstat, avait proposé, en 1998, une initiative de partenariat, connue plus tard sous le nom d'«Initiative Eizenstat», et par laquelle il voulait renforcer les relations entre les Etats-Unis et le Maghreb pour assurer des «débouchés aux produits américains» dans la perspective aussi de la création d'une zone de libre-échange entre les deux parties. L'administration républicaine du président Bush, a repris à son compte l'idée de l'initiative Eizenstat. En venant au Maghreb, Colin Powell a, parmi ses objectifs, la relance du partenariat à l'échelle du Grand Maghreb, à l'évidence plus gratifiant, eu égard au marché de consommateurs qu'offre le Maghreb, et présente plus d'intérêts que des relations particulières avec chacun des pays de cette région. En fait, il est patent que la visite du secrétaire d'Etat américain sera placée sous l'égide du renforcement du partenariat entre les Etats-Unis et le Maghreb d'une part, et de l'opportunité de donner une leçon de choses aux Maghrébins.