Maître Dalila Amghar et Maître Laroui de Larbaâ étaient au bord du stress; leur client, un inculpé détenu pour conduite en état d'ivresse, risquait gros. Djamila Benkhettou est une procureure qui ne badine pas lorsqu'il s'agit de requérir contre quelqu'un qui casse le mur du respect des lois, et s'amuse à mettre en danger non pas sa vie seulement mais celle des autres. Et ce genre de procès est plus qu'intéressant! Rachid D, trente-cinq ans, est pourtant un père de famille, chauffeur de poids lourd sur de longues distances, qui n'a pas eu une idée honnête, ni lumineuse, en prenant des pots à Douaouda sur la côte avant de prendre le volant de son véhicule avec lequel il effectue une traversée sans histoire malgré le flou qui enveloppait son regard. Rachid a roulé, accéléré, freiné, ralenti, appuyé sur le champignon, joué avec ses clignotants, siffloté, bavardé avec son compagnon de route avant d'aller sur le «mur-en-feu» de l'entrée de Birtouta, cette sortie de la capitale donnant sur Oran - Médéa - Blida - El Affroun - Tipasa - Zéralda et même Bab H'ssan, Zouhour Echarq... L'accident n'avait pas été dramatique. Il n'y avait ni victimes ni gros dégâts à part du bruit de ferraille en marche. Des broutilles, en somme! Et puis la pluie de tuiles allait s'abattre sur le crâne du pauvre Rachid. Le compagnon de route suggéra au chauffeur «out» de descendre faire le constat. Patatras! Devant les policiers, Rachid parla. Et en ouvrant la bouche, tout l'alcool ingurgité «gifla» les papilles nasillardes des flics. Le délit est vite signifié. Direction le labo de l'hôpital. Le diagnostic est net: 1,30 gramme! Et ce sera la magnifique Djamila Benkhetou qui va utiliser le taux d'alcoolémie pour s'emparer d'un gourdin nommé «Code pénal» et ses terribles articles de loi ainsi que l'ordonnance rédigée et promulguée pour punir tous les coupables d'atteinte à la route et ses usagers. La parquetière poussera la coquetterie jusqu'à arborer un radieux sourire, de quoi apprécier sa belle dentition blanche pour tomber sur l'inculpé: «Oui, le ministère public est O.K avec les deux avocats qui vont nous apprendre que l'accident n'a pas été à la base de la mort d'un individu ou encore d'immenses dégâts! Non, l'inculpé était éméché. Il a bu? C'est son droit. Il n'y a aucune loi qui punit la consommation d'alcool mais il y en a une qui interdit de conduire un véhicule après avoir bu!» s'est exclamée la procureure devant Maître Lazazi Rami, cet avocat qui adore suivre les réquisitoires de Benkhettou et donc qui planait de plaisir car un jour il nous avait confié qu'il «avait beaucoup de respect pour cette femme de loi qui ne cesse de progresser tant elle est pétrie de qualités.» Evidemment, devant les deux ans fermes requis par la parquetière, les deux avocats s'efforceront de minimiser l'inculpation. «N'exagérons pas. Madame la procureure fait certes son boulot mais ne faisons pas d'une graine une colline comme le dit si bien le proverbe arabe», a sifflé Maître Amghar alors que son confrère, Maître Laroui a tout simplement réclamé l'indulgence du tribunal pour ce qui est de la conduite en état d'ivresse, fait que n'a jamais nié l'inculpé qui arrivera à se maîtriser et retenir des larmes qui voulaient quitter ses orbites et pour cause. Et comme pour se débarrasser de cet amer dossier, le tribunal annonce la mise en examen de l'affaire sous huitaine et libère tout le monde. C'est la dernière affaire d'un rôle pas possible pour cette juge patiente...