Un écrivain à la bibliographie riche et diversifiée «Les bâtisseurs des nations ce sont les intellectuels et non pas les politiques» ne cesse de clamer Yasmina Khadra depuis des années. Certains préfèrent relever le négatif, Yasmina Khadra est du genre à souligner le constructif et à pousser à l'optimisme. Quand on grandit pour faire face au chaos, cela se comprend un peu. Le temps forge l'esprit et assagit les âmes. En avait-il besoin lui, le fils et descendant d'une grande lignée de poètes de Kenadsa? Des critiques malveillantes qui l'accusent de tous les torts ou les maux de la planète, Yasmina Khadra n'en a cure aujourd'hui. Conscient de faire l'objet d'une certaine inimitié de la part de certaines personnes dont il assure connaître les noms, l'auteur de Les Hirondelles de Kaboul se plait à tempérer aujourd'hui les ardeurs en affirmant «de toute façon ce n'est qu'une minorité d'Algériens qui m'attaque. Pourtant, je ne déteste personne. Chacun est libre de penser ce qu'il veut. On ne peut plaire à tout le monde», réponse chevaleresque adressée à son compère en littérature, Rachid Boudjedra qui lui dénie même le statut d'écrivain en le faisant savoir publiquement lors de l'hommage que le Sila lui a rendu en début de semaine. Une aberration farfelue et frivole venant d'une sommité de la littérature algérienne pourtant, un écrivain qui n'a, certes, pas sa langue dans sa poche mais là, il aurait dû la tourner sept fois avant de débiter pareilles inepties! Reste que les goûts et les couleurs... On peut dire à ce moment-là que tel ou tel écrivain est bon ou mauvais. Et d'ajouter: «Je ne suis pas dans la contrainte, je n'impose pas mes livres aux gens. Je préfère écouter Gabriel Garcia Marquez, prix Nobel de littérature qui a dit des choses encourageantes sur moi. Ce sont ces gens-là qui m'orientent et qui me donnent une force, je dirais même rédemptrice. Ce ne sont pas les politiques qui forment aujourd'hui une nations mais les artistes, les chercheurs, les idoles». «Mon public, ma récompense» C'est donc avec un plaisir avoué et doublement souligné que Yasmina Khadra s'est plu à venir dialoguer jeudi après-midi, au Sila, avec son public, certes, pas nombreux mais comme on dit seule la qualité compte. Ce dernier n'a pas tari d'éloges à son égard; entre jeunes étudiants et curieux même fans ayant traversé tout le pays pour venir le voir. Optimiste! Yasmina Khadra l'est et le réitère en soulignant que le salut de notre pays viendra forcément de toutes ses forces artistiques et créatrices, que ce soit cinéastes, poètes, peintres ou autres. Il réaffirmera son amour pour son public d'ici et d'ailleurs qu'aucun prix littéraire n'équivaudrait. Un public qui, dira-t-il, lui a permis de supporter «le tsumani des hostilités» qui gravite autour de lui et grâce auquel il avance. Présent au Sila, Yasmina Khadra dédicaçait, la veille au stand Edif 2000, son nouvel ouvrage, décliné sous forme de beau livre, édité chez Michel Lafont dans lequel il partage la vedette avec un artiste photographe iranien Reza. Dans son texte, Yasmina Khadra s'adresse à une certaine Lucia à laquelle il lui décrit la beauté de son pays en faisant différentes haltes dans ses régions. A propos du film Innocence of muslims, l'auteur de L'Imposture des mots estimera que c'est une «absurdité intenable». Et de souligner: «Certains profitent de la vulnérabilité des musulmans dans les pays arabes qui se cherchent, ou sont à bout de nerfs et ne trouvent de place nulle part. Je ne suis pas d'accord avec ces initiatives malheureuses. Aucune conscience, aucun homme ne peut cautionner de telles dérives. Je souhaite que les pays musulmans fassent preuve d'une certaine maturité. Il faut faire parler de nous par le travail, le talent et non pas par la violence.» Le calme contre l'agressivité A propos du clash de Yasmina Khadra avec Eric Zemmour, lors d'une émission passée sur M6, M. Khadra fera remarquer que sur les 25 minutes qu'a duré son intervention seuls 7 minutes sont passées. «Il ne faut pas se fier à l'image donnée. Ma seule façon de réagir devant l'agressivité est d'être serein c'est ce que j'ai fait. J'étais venu pour parler du film. J'ai dit ce qu'il fallait dire sans emphase ni violence. Je suis souverain dans mon travail. Se donner en spectacle à la télé ne m'intéresse pas. Arcady a essayé de donner le mieux de lui-même. Il n'a jamais dit que Ce que doit le jour à la nuit était un hymne à l'Algérie d'hier. Quand j'ai accepté de lui céder les droits à la condition sine qua non que le film se fasse en Algérie. J'avais besoin que les gens voient ce pays qui a été dévasté par la guerre d'intégristes que le monde découvre ce pays et son peuple avec ses défauts et ses grandes qualités. Malgré tout il est magnifique et il avance. J'aurais voulu que les journalistes parlent du cinéma qui doit retrouver sa place dans ce pays. Mon rôle est de vendre du rêve à tous mes lecteurs...» Le film Ce que le jour doit à la nuit, a-t-il fait savoir a été projeté au cours des festivals, il est parti à Torento, prochainement à Saint-Sébastien au USA en novembre et après en France. «Mon souhait est de voir tous les films algériens tournés en Algérie. Malheureu-sement, nous avons un pouvoir qui n'est pas bien éclairé malgré la lumière que nous lui proposons à chaque fois. Il faut que les gens réapprennent à s'aimer; à constituer une force, une forme de lobbying pour faire avancer les choses... N'importe quel attentat mobilise le monde entier. Les attentats étaient quotidiens chez nous, personne ne s'en est préoccupé. On s'en est sortis seuls. Nous avons prouvé au monde entier que même sans soutien, nous étions capables de redresser la tête.» S'il reconnaît que sa présence dérange sur certains plateaux télé, en France, sur lesquels on a essayé de «défigurer mon image», Yasmina Khadra préfère dénoncer le manque de visibilité octroyée à ces auteurs français provinciaux qui n'ont même pas droit de cité dans leur propre pays et marginalisés parce que victimes de certains «cercles fermés racistes qui n'acceptent pas les autres». Et de poursuivre: «En France, le vrai problème n'est pas la burka ou le voile qui intéresse les Français mais les problèmes de crise financière, le chômage, la famille... «Ce sont les politiques qui inventent ces angoisses pour créer d'autres préoccupations à la société». Du rêve et de l'espoir Le mot-clé de Yasmina Khadra, pour ceux qui le savent bien, est l'amour, la magie du beau qui le pousse au perpétuel émerveillement. «Je suis devenu écrivain car j'aime les écrivains. Je suis arrivé en France en 2001 alors que je ne savais pas formuler une phrase correcte de français. Je m'étais habitué au langage trivial de l'armée», reconnaît-il, esquissant un sourire en coin. Evoquant le livre l'Etranger de Camus, il le qualifiera de «plus beau livre du monde» mais qui l'a à la fois «déçu» tant l'acte de tuer l'Arabe à la fin du roman est injuste et injustifié à ses yeux. «Je voulais écrire un livre pour répondre à Camus» fera-t-il remarquer. Khadra tentait de dissiper le doute, qu'il a perçu parmi l'assistance, sur la véritable identité de l'auteur ses romans. Toujours avec le sourire, l'auteur de L'équation africaine estimera être dans la mesure d'insulter et posséder les mots pour mais, avoue-t-il: «Il y a quelque chose en mon for intérieur qui me l'interdit. Les gens qui me dénigrent ne m'ont même pas lu». Evoquant à nouveau le film adapté de son roman et projeté en avant-première en Algérie il y a quelques semaines, Yasmina Khadra rapportera les propos du réalisateur Lakhdar Hamina qui l'apostrophera au téléphone en lui avouant: «C'est ma vie que tu as racontée!» et de poursuivre: «J'espère avoir écris un livre d'apaisement car la réconciliation ne s'impose pas. Cela suppose un consentement mutuel. Mes personnages ne sont pas des héros mais des victimes. Ce sont des prototypes de personnes qui, à l'époque, ne savaient pas choisir». A une question relative à la déliquescence de la société algérienne aujourd'hui et au désenchantement de la jeunesse en particulier, Yasmina Khadra estimera que «c'est la faute d'un système qui a empêché la jeunesse de participer au concert des nations. L'Algérie s'est égarée. Mais elle n'est pas morte. Elle va se relever. Il faut que les gens s'éveillent et sachant ce qu'ils veulent faire de leur vie avant d'aller s'imposer aux autres. Ça dépendra aussi de l'Ecole algérienne, de l'éducation. On parle de ce qui est scandaleux. Il y a des gens qui travaillent dans les arts, dans les associations, il n'y a pas que les ordures en Algérie. C'est à nous d'aller vers ce qui nous inspire.»