Le film commence d'emblée comme dans un rêve qui s'estompe pour laisser place au drame et aux malheurs humains. L'on est constamment transbahuté, du présent au passé, et du passé au présent. Nous sommes en 1998, l'année de la promulgation de la loi de la réconciliation nationale qui permet aux terroristes dont les mains ne sont pas maculées de sang, dit -on de se repentir. Rachid Benhadh croit détenir un scénario en or, sauf que cette fois il rate le coach. Autant Le Pain nu nous avait subjugué par sa belle liberté de ton et de poésie, autant celui-ci nous laisse inéluctablement sur notre faim, à quelque exception prés puisque la fragilité du personnage de Karima permet de donner quelques épaisseurs à ce film via une prestation assez remarquée de la comédienne italienne qui a eu au moins le mérite de bien apprendre son texte ou plutôt certains de ses passages en arabe jusqu'à réciter une sourate du coran. Certains l'ont carrément traité de trop «vieille» pour ce rôle.. Mais le comble n'est pas là, plutôt dans le jugement de valeur que se permet le réalisateur him-self en stigmatisant son personnage ou au lieu de le laisser respirer, vivre par lui-même. «Quand on perd sa mémoire on vieillit. C'est une étrangère, il ne lui reste rien d'algérien. Elle a renoncé à son algérianité, même en effaçant sa langue. Elle vit avec quelqu'un qui ne connaît rien d'elle. Elle est doublement étrangère. Elle souffre d'un gros problème d'identité. Elle est froide comme un glaçon car c'est ça qu'on devient en occident. On prend la nature de l'Occident. Karima a coupé avec sa réalité. Elle est loin de la réalité» a-t-il affirmé lors du débat qui a suivi la projection presse jeudi main à la salle Ibn Zeydoun. Ce film se nourrit d'une multitude de clichés à l'image de ce que montrent certains médias occidentaux, et le réalisateur en abuse presque à demi-mot quand il avoue donner presque sur un plateau d'argent matière à la photographe d'alimenter ce sport médiatique d'outre- mer plaçant devant son objectif un gumbri, un homme parlant le tamashek, du sable et du vent.. Le même objectif qui reconnaît son ridicule face à la terreur des images assassines lorsque ses yeux croisent l'image de la télé. Et c'est la stupeur. Il y a la mère alias Chafia Boudraâ, complètement à côté de la plaque souffrant d'un grand écart générationnel avec sa fille devenue une photographe reconnue en France, un père acariâtre qui finit par abuser de sa fille adoptive, un frère qui tourne mal ne sachant faire face à la «dictature» du père et une fille qui se sauve donc à l'étranger pour ne pas se faire écraser par ce père brutal, dominant, alias Sid Ahmed Agoumi, avec lequel il y a aucun moyen de discuter ou communiquer. Un homme acariâtre plongé dans son glorieux passé colonial. A cet homme qui représente la rigidité du système en place ou le parti unique s'élève la voix de son frère qui admet que les promesses de l'indépendance n'ont pas été tenues, mais trahies. Une famille qui se déchire seule dans une Algérie désabusée déployée sous le youyou des femmes comme signe de délivrance, fin de ratissage, extinction de feu ou assassinat dans le maquis. La fille adoptive devenue femme n'est autre que Rym Takoucht qui est enceinte de son quatrirème gosse, espère revoir son mari, Mourad, le frère de Karima, revenu en Algérie donc après 20 ans pour lui porter main forte. Or, ce dernier a beaucoup changé. Il est devenu émir d'un groupe terroriste. Attrapé, il a été déporté dans les camps au Sud de l'Algérie. Le frère de Karima n'est plus ce jihadiste contre l'impérialisme américain mais un monstre sanguinaire qui se bat contre un système corrompu par la force du sabre au nom de Dieu. Karima vient de là-bas, elle tente de convaincre son oncle alias, Ahmed Benaïssa de l'aider à libérer son frère qu'elle croit innocent et l'inciter à la repentante. Dans la maison familiale, le retour de Karima exhale les senteurs du passé comme le musc au goût violemment acariâtre. Perfide, son oncle parle de «règlement de compte avec le passé». Ce présent est aussi fait de manifestations pour la dignité de la femme, représenté par cette jeune militante, la personne de Adila Bendimerad. Les profils sont posés. Dessinés. Récapitulons: une victime humiliée dans sa chair qui épouse le frère qui prend la responsabilité de taire le déshonneur, une femme qui se voile et met ce dernier à sa fille alors âgée à peine de 5 ans.. Tout les personnages vraisemblables sont là, mais alors pourquoi cela ne prend pas? Est ce dû à un dialogue qui sonne faux? une atmosphère délétère et surchargée? cette musique qui alourdit un décor plus qu'encombré? ou tout simplement à l'incohérence d'une histoire dont le traitement qui laisse à désirer ne parvient pas à se hisser à la hauteur de cette tragédie presque gréco-romaine que veut peut être nous signifier l'auteur de Touchia?. «Mon idée sur la liberté et la démocratie..» Mythifier ses héroïnes voilà encore un cliché que les médias ont inventé, à l'instar de «La madone de Bentalha». Et pourtant avoue le réalisateur «j'ai voulu évoqué la dimension humaine de Karima. Ce n'est pas un super héros. Elle a ses faiblesses. Elle a un peu rendu ses armes. Quand elle rencontre une fille qui lui rappelle sa jeunesse (Adila Bendimered) elle a réveillé en elle son passé en lui proposant sa propre solution: fait comme moi et part!». De son Rym Takoucht, alias la belle-soeur de Karima s'est dit aimer incarner un nouveau personnage, différent. Elle avouera avoir regardé le film avec l'oeil de la comédienne. «J'ai vu ma souffrance, cette peine.. et d'autant qu'il y a dans le film deux générations qui s'affrontent, l'ancienne et celle d'aujourd'hui...». Pourquoi ce film? question incongrue à laquelle le réalisateur répondra en installant son film en rapport direct avec les révolutions arabes. «J'ai voulu mettre l'accent sur l'idée de la liberté et la démocratie. Je me suis inspiré du jeu d'échecs. Nous sommes à une période où on essaye de remettre en cause la politique des maîtres, des gouvernants, mettre en échec ainsi le maître comme ce qui se passe dans les pays arabes. On est au stade éminent. Aussi Karima essaye de comprendre ce qui s'est passé il y a 20 ans. C'est une sensation que j'ai quand je reviens dans mon pays. Regarder notre mémoire c'est important. Certains pays sont en train de vivre leur révolution. Ils pourraient se pencher sur ce qui s'est passé en Algérie car cela pourra les éclairer. On est fort si on renie pas son passé. Karima est vide. Elle a passé ses 20 ans comme si elle n'avait pas vécu... J'ai introduit ces images de femmes en train de parler, (document d'archives sur les manifestations pour la liberté des femmes dans les années 1990, Ndlr) car on a intérêt à écouter ce qu'ont à dire les femmes». Voilà comment on bascule de la fiction à la réalité, en gâchant de facto son film qui peine déjà à marcher...». Le film Parfum d'Alger sélectionné au festival d'Abu Dhabi (du 11 au 20 octobre) n'a de magnifique que son image soignée par un chef opérateur cadreur italien, actuellement en Iran pour le tournage d'un film sur le Prophète Mohamed (Qsssl).