La capture de l'ancien dictateur induit une nouvelle donne dans la problématique irakienne. Prémonitoire est la fin, peu glorieuse, de la cavale de l'homme le plus recherché par les Américains: Saddam Hussein Al-Takriti. Ce dernier, tombé vraiment de très haut, fut cueilli dans un trou de fond de cave d'une ferme perdue de la région de Tikrit, sa ville natale. Selon les premières images données par les télévisions, après son arrestation, l'impression était qu'il y avait en face de la caméra un clochard surpris sur sa paillasse, que l'homme qui, il y a à peine huit mois, était le plus puissant d'Irak et dont la parole faisait loi. Il en est ainsi des retours de situation qui remettent les choses à l'endroit. Et c'est à ses dépens que l'ancien dictateur irakien, bien seul dans son trou, (même pas un garde du corps pour veiller sur son sommeil), fait à son tour l'expérience de ces retours de manivelle qui remettent les hommes à leurs justes dimensions. Le premier enseignement qui peut être tiré de cette capture peu glorieuse de l'ancien homme fort de l'Irak, est le fait que la confiance ne régnait point entre les hommes qui ont conduit et mis sous coupe réglée l'ancienne Mésopotamie. Au point où un Saddam Hussein était réduit à ne compter que sur lui-même, et sa bonne étoile, pour échapper aux filets qui se resserraient autour de lui. En réalité, l'ancien maître de Bagdad ne mesurait sans doute pas les haines qu'il accumula contre lui auprès des communautés irakiennes. De fait, les réjouissances populaires ayant suivi les morts affreuses, en août dernier, de ses deux fils, Oudéi et Qoussai, sont indicatives du degré où des êtres humains pouvaient être honnis. Saddam Hussein qui a fait beaucoup de mal à son peuple et à son pays, lui imposant une guerre ruineuse de huit ans contre l'Iran (1980-1988), occupant le petit émirat du Koweït en août 1990, et déclenchant du coup l'une des plus longues guerres d'usure de la fin du XXe siècle et le début du XXIe avec les pics des guerres clés dites «Tempête du désert», du 17 janvier au 27 février 1991, à l'issue de laquelle des zones d'exclusion ont été créées, alors que le régime baâssiste ne contrôlait plus que le centre du pays (Bagdad) et «Liberté pour l'Irak», du 20 mars au 9 avril 2003, qui vit la chute de Bagdad et l'entrée en clandestinité de Saddam Hussein. Deux guerres menées en Irak, aux deux bouts, par les Bush, père et fils, allaient sonner le glas d'une certaine idée de la gouvernance et des rapports entre nations. Les attentats anti-américains du 11 septembre allaient, outre radicaliser la lutte antiterroriste, focaliser davantage la rancune des Etats-Unis envers le gouvernement irakien, traité, au même titre que ceux de l'Iran et de la Corée du Nord, par le président Bush Jr, «d'axe du Mal» qu'il fallait combattre par tous les moyens. Ces trois pays étaient accusés de vouloir se doter d'armes de destruction massive (ADM). Les ADM seront même l'une des raisons primordiales invoquées par les Etats-Unis quand, passant outre le Conseil de sécurité de l'ONU, ils décidèrent de porter la guerre en Irak, soutenue par la seule Grande-Bretagne. Le deuxième enseignement à tirer de la seconde chute de Saddam Hussein, est que sa capture va clarifier la donne stratégique irakienne. Tant que l'ancien dictateur se trouvait dans la nature, il y avait un but pour la résistance consistant dans le rétablissement au pouvoir du régime baâssiste, mais, aujourd'hui le porte-enseigne du Baâs mis hors circuit, pour quels objectifs et quelle finalité vont se battre les résistants et les guérilleros irakiens? En effet, la donne irakienne a maintenant changé du tout au tout, et sans doute nombreux sont ceux qui ne verraient plus l'intérêt de poursuivre un combat sans perspective. De fait, l'arrestation de Saddam Hussein aura surtout mis fin aux exercices de saltimbanques d'un homme qui, sa vie durant, a vécu sur le qui-vive, l'arme à la main, ne faisant confiance à personne, ne dormant jamais deux nuits de suite dans le même lit, ne restant pas plus de quelques heures dans un même endroit, et ayant passé sa vie à se protéger outre de ses ennemis, surtout de ses amis qui tous rêvaient de prendre sa place. Il échappa à plusieurs tentatives d'assassinat. Seul et isolé au summum de sa puissance et de sa gloire, Saddam Hussein termine son parcours encore plus seul et plus isolé se faisant cueillir, quelle ruine, dans un trou de rat. Grandeur et décadence tel aura été le chemin sinueux de celui qui, un jour, a voulu être dans le même temps Haroun Al-Rachid, le constructeur de Bagdad et Joseph Staline, le dictateur soviétique aux mains pleines de sang, en ne réussissant qu'à être l'ersatz du premier, mais bon élève du second. Pour le plus grand malheur de son peuple.