Le troisième millénaire, dont nous vivons le début de la deuxième décennie, a induit des bouleversements géostratégiques considérables dans le monde et des avancées technologiques que personne, en vérité, n'imaginait il y a un quart de siècle. Ces avancées ne se sont pas cependant réalisées sans perturbation sur les donnes sociétales de nombreux pays. La «globalisation» a, en fait, uniformisé - ou tend à uniformiser - le monde dans le même moule. C'est surtout vrai dans les secteurs de l'industrie et du commerce où les monopoles et les concentrations laissent peu de place aux initiatives nationales. C'est dans cette optique qu'il faut sans doute situer la question de l'adhésion de l'Algérie à l'Organisation mondiale du commerce (OMC). En fait, la question qui se pose, que nous devons poser, est simple: l'Algérie est-elle prête et dispose-t-elle de suffisamment d'atouts pour un tel saut alors qu'elle ne possède pas l'infrastructure industrielle et commerciale propres à lui permettre d'avoir, un tant soit peu, son mot à dire? Soyons sincères avec nous-mêmes, un pays qui importe 100% de ses besoins industriels - l'embryon de l'industrie nationale mise en place aux premières années de l'indépendance est aujourd'hui obsolète et ne répond plus aux exigences de développement du pays - dépend à près de 90% des importations pour ses besoins alimentaires - dans les années 1960/1970, l'Algérie exportait certains produits agricoles - ne produit que 20% de ses besoins en médicaments, peut-il raisonnablement adhérer à une institution - dont l'objectif est d'inciter au commerce sans entraves douanières ou autres - dont la résultante est l'ouverture des vannes à l'importation tous azimuts achevant de mettre un terme à toute velléité d'indépendance alimentaire et industrielle. Certes, l'Algérie a entamé lors des deux dernières décennies une série de réformes qui auraient dû permettre au pays de se doter d'un tissu industriel et commercial suffisamment cohérent pour résister aux multinationales qui monopolisent le commerce et l'industrie internationaux. Peut-on affirmer alors que le pays est dépourvu de cette garantie industrielle et commerciale (au moment où les grossistes et autres importateurs imposent leur diktat, l'informel phagocyte les initiatives, le montage industriel, qui ne crée pas de plus-value, tue les PMI-PME) qu'une ouverture totale du marché algérien - le démantèlement douanier est l'une des exigences de l'OMC - serait sans danger pour l'Algérie? Or, les réformes entreprises, il faut bien le relever, s'accomplissent en dents de scie - comme en témoignent les difficultés à privatiser les sociétés algériennes qui n'attirent ni les entrepreneurs algériens ni les hommes d'affaires étrangers - et ont ouvert en revanche la voie à la corruption et à un marché informel sans limite. Un marché informel qui, quel paradoxe - (c'est M. Ould Kablia, ministre de l'Intérieur, qui l'affirme) comble un besoin: celui de l'échange de devises en l'absence d'un mécanisme national adéquat. Voilà, pourquoi les «cambistes» du square Port- Saïd seraient actuellement utiles. Or, cette situation dommageable pour l'économie nationale a été rendue possible, du fait des ambiguïtés entourant les privatisations et les demi-mesures qui ont accompagné la mise en place d'une économie de marché qui permette au pays de défendre son indépendance économique, faire des échanges profitables pour notre industrialisation et notre économie comme de résister à la déferlante qu'a induit l'ouverture sauvage du marché algérien. Cela était nécessaire du fait que les conditions d'adhésion à l'Organisation mondiale du commerce risquaient de bouleverser le paysage commercial et économique national. Dès lors, la question reste posée: sommes-nous prêts à ce bond qualitatif alors que nous ne maîtrisons pas les règles de l'économie de marché dans laquelle notre pays est entrée quelque peu à la hussarde avec une libéralisation sauvage sans règles ni garde- fous, après des années d'économie planifiée et de monopole de l'Etat? Aussi, on risque de vérifier à nos dépens le fait que quand le moment était venu de passer à l'action nous n'étions pas prêts. Ce qui pend au nez de l'Algérie si elle rejoint l'OMC sans véritable préparation et autres indispensables précautions.