Vénérée comme un marabout algérien, cette femme chrétienne suscite moult interrogations d'où le livre qui lui sera consacré. Raconter la fabuleuse histoire de yemma Binette sans tomber dans l'épopée est le projet de Laurence Huet, auteur dramatique français. Ce projet est né suite à sa rencontre avec Hachemi Mokrane, animateur culturel au CCF et artiste plasticien. Ce dernier, natif de Beni Haoua, un petit village à mi-chemin entre Cherchell et Ténès, serait, en fait, un descendant potentiel de cette mythique femme, vénérée aujourd'hui et reconnue comme un vrai marabout. Qui est-elle ? Quelle est son histoire? Celle-ci remonte à 1802, le 15 janvier, un bateau a levé l'ancre sur les côtes de Toulon se dirigeant vers Saint-Domingue aux Etats-Unis. Suite aux intempéries, ce dernier a échoué à Béni Haoua. Parmi les rescapés, se trouvaient des dont une partie est rentrée en France et l'autre s'est intégrée à la population. Celle qui nous intéresse sortait du lot. Elle s'appelle Mama Binette ; tout le monde l'appelait ainsi. Cela veut dire en arabe «oum el bnat» (la mère des filles). Beaucoup a été dit sur cette femme légendaire mais peu, hélas, écrit. Elle reste très présente et ancrée dans la mémoire des gens de cette génération ayant transmis son histoire oralement. Le manque d'archives nous la rende encore plus énigmatique, d'autant que Laurence Huet, à travers ses recherches, a réussi à retrouver la liste des militaires qui étaient sur le bateau, mais aucune trace de celle des passagers. «Cette histoire reste donc à écrire», nous dit-on. On dit que cette chrétienne a embrassé l'islam suite à son accueil dans ce village. Elle aurait épousé un certain Mokrane, un chef de tribu de Béni Haoua. Il y a un an, Hachemi Mokrane était à Toulon. «J'ai rencontré Laurence Huet et je lui ai dit que j'étais troublé par cette ville en faisant la relation avec cette histoire. En voyant le port, je ne sentais plus mes pas sur le sol : l'émotion était très forte...», confie-t-il. Le personnage ne pouvait qu'intriguer cet auteur de théâtre. Le besoin d'écrire s'est fait sentir. Aussitôt dit, aussitôt fait. S'impliquant doublement, Mokrane met à la disposition de Laurence Huet les documents nécessaires à même de lui servir comme matière pour son texte qui, précise-t-il, «s'inspire d'une histoire réelle qui se situe entre la réalité et la fiction» et de souligner «ce n'est pas écrire l'histoire qui nous intéresse. On n'est pas historien. L'essentiel, c'est qu'elle existe et que c'est une belle histoire ». Le projet aura comme aboutissement l'édition d'un livre intitulé Déliée, une descendance algérienne qui sera présenté au 9e Salon international du livre d'Alger. Ce livre sera accompagné de photographies d'ambiance, signées Yves Jean-Mougin, prises à Beni Haoua même pour recréer un peu l'atmosphère ainsi qu'un CD regroupant des enregistrements sonores, des témoignages des habitants de cette localité que Mariela Damian est parti recueillir pour reconstituer un peu le puzzle de cette singulière femme. Hachemi Mokrane quant à lui, apposera sa touche dans ce livre par des calligraphies. Le texte comprend 5 personnages. Ceux-ci seront transposés en deuxième temps, plus tard, sur les planches. Les déliés et les pleins le connaissant très bien, outre ce projet Mama Binette qui lui tient vraiment à coeur, Hachemi Mokrane continue à s'adonner à sa passion des arts plastiques : la calligraphie. Après avoir exposé l'an dernier au Bastion 23, il s'associe à la compagnie de danse Kafig pour un spectacle très créatif et original baptisé Corps et graphie 2003. «C'est l'une des premières créations en danse contemporaine reposant sur le hip hop où la chorégraphie, pour une fois, s'associe à la calligraphie», explique Hachemi Mokrane. Mourad Merzouki, a intégré pour ce faire des filles dans la troupe et Hachemi ramène des roseaux et ses teintes dorées et mates. Comme toutes les aventures risquées au départ, celle-ci se soldera par un grand succès. Le spectacle est actuellement en tournée en France. Sa particularité et donc sa beauté résident dans la qualité de recherche aussi bien dans la lumière, la musique que la scénographie. Projetées sur un écran, les calligraphies ainsi diluées dans le spectacle participent harmonieusement à la cadence mobile de cette création à vous couper le souffle. Un spectacle chorégraphique qu'on aimerait bien voir à Alger. Les oeuvres de Hachemi Mokrane sont actuellement accrochées aux cimaises de la galerie Top Action, à la Citadelle du Dey (Bab Ejdid). Avis aux amateurs des belles «lettres».