img src="http://www.lexpressiondz.com/img/article_medium/photos/P121227-03.jpg" alt=""Il n'existe pas de festival indépendant dans le monde"" / Après avoir été écarté du Festival de Dubaï et du Caire pour «incompatibilité politique», le réalisateur syrien Joud Saïd était présent à Oran pour présenter son dernier film Mon dernier ami. Il revient dans cet entretien sur la situation cinématographique en Syrie, mais aussi sur les secrets de réussite des Syriens dans l'audiovisuel arabe et nous donne sa vision de l'avenir d'un pays qui est en proie à la guerre et à la déchirure. L'Expression: Joud Saïd, peut-on connaître votre parcours cinématographique? Joud Saïd: A la base, j'ai commencé par des études d'ingénieur, avant de partir en France où j'ai étudié le cinéma entre Lyon et Paris jusqu'à 2007. De retour en Syrie, j'ai fait deux courts métrages Monologue qui est passé à Oran en 2008 et Adieu qui avait fait l'ouverture de la première édition du Festival d'Abou Dhabi et qui rendait hommage à Bergman et Antonioni après leur décès et mon premier long métrage C'est encore une fois, est passé à Oran en 2011 et je reviens cette année avec mon deuxième film qui est Mon dernier ami et aujour-d'hui, j'ai terminé la dernière séquence en écriture du troisième qui s'intitule En attendant la mariée. Vous faites partie de la nouvelle génération des cinéastes syriens, quelle appréciation avez-vous du cinéma syrien sachant que votre pays n'a produit, depuis 1963, que 58 longs métrages? Malheureusement, le cinéma syrien a été très peu productif, parce que la Syrie, de par sa position géostratégique, ouvre des portes géantes pour des sujets en tous genres, sans parler des sujets les plus intimes du quotidien, des sujets cinématographiques qui peuvent intéresser tout le monde. Pas seulement dans la région, mais le problème était toujours lié à des questions de lois qui empêchent les producteurs privés de travailler, mais depuis cinq ou six ans, ça a commencé à bouger petit à petit, mais il n'y a pas un marché ou des essais pour mettre en place une industrie cinématographique. Donc il y a des films syriens et des identités syriennes qui reviennent à leurs auteurs. Chaque auteur est un cas dans le cinéma syrien, il peut ressembler à un courant en Egypte, mais ce sont des cas à part. L'investissement du privé dans l'audiovisuel a aussi nui à la production cinématographique syrienne. Justement, comment expliquez-vous que l'audiovisuel syrien, notamment les feuilletons historiques comme Bab El Hara ont eu un grand succès dans le Monde arabe et sont soutenus par des télévisions émiraties et qataries, alors que le cinéma syrien est totalement marginalisé? On peut le résumer par l'arrivée des paraboles. Fin des années 1990, des centaines de chaînes des pays du Golfe ont besoin des heures et des heures de productions arabes pour alimenter leurs programmes. Comme le dialecte est facile, proche de l'arabe littéraire, il passe facilement dans les pays arabes, donc c'est un produit très demandé. L'argent existe, donc il fallait produire, produire et produire et remplir des heures et des heures d'antenne. Ce qui a donné une vie à l'audiovisuel syrien, puisque la Syrie est arrivée à produire une cinquantaine de feuilletons par an, un peu l'équivalent de la production égyptienne, mais c'était une fausse production, car comme les pays du Golfe ont commencé à produire des feuilletons et acheter les droits des programmes et des shows américains ou européens, le nombre d'heures de la production syrienne a commencé à baisser. Les Syriens n'ont pas compris le jeu des pays du Golfe, ils n'ont pas créé des chaînes syriennes pour les alimenter et sauver la production locale. Les chaînes télés des pays du Golfe n'ont pas besoin du cinéma des pays arabes. Elles ont acheté quelques films égyptiens et le reste est rempli par des heures et des heures de cinéma américain. Elles n'ont pas cet intérêt pour le cinéma syrien, surtout que le cinéma syrien est très intime, qui va de toi à moi. Il n'y a pas un cinéaste syrien qui fait un Bab El Hara en deux heures. Ce n'est pas un cinéma de divertissement. Aussi, l'absence des salles en Syrie a joué un rôle important dans l'absence de films de divertissement. Si vous prenez le CV d'un cinéaste syrien, il faut bien chercher pour trouver un film comique. Mais il y a les films de Dreid El Lahamm! Mais c'était des films de coproductions égypto-libanaises, qui étaient dirigés par deux ou trois producteurs basés à Beyrouth et qui avaient leurs propres salles, donc c'est un cas à part. Ce qui est paradoxal, la main-d'oeuvre artistique syrienne est exploitée par les pays du Golfe. La Syrie est devenue même une référence en matière de grande réalisation à l'image de Hatem Ali, qui a réalisé Omar, de comédiens à l'image de Djamel Souleiman, Soulef Fawakherji qui a joué dans Cléopâtre et même de doubleurs, puisque la Syrie est devenue la nouvelle industrie du doublage arabe en doublant tous les feuilletons turcs et historiques, alors qu'en réalité, l'industrie audiovisuelle locale est devenue pauvre! Comment expliquez-vous cela? C'est vrai, et c'est ça que je reproche aux responsables syriens, aux responsables des médias et du cinéma, parce qu'ils n'ont pas su créer comme le Maroc, un marché cinématographique local en utilisant les revenus des coproductions avec l'étranger. On est resté les bras ouverts et ça, ce n'est pas intelligent (pour ne pas dire autre chose) et le résultat que vous avez très bien résumé. On a parlé des pays du Golfe. Comment expliquez, à cet effet, le réveil artistique de ces pays qui n'ont pourtant pas d'histoire dans le cinéma ni dans l'audiovisuel arabe. Avec les pétrodollars, ils ont racheté la majeure partie de la production ancienne égyptienne notamment. Ils rachètent les clips arabes et ont dépouillé l'Egypte de tout son starsystème pour alimenter des télévisions arabes comme Dubaï TV, Rotana ou encore MBC? Moi, je trouve que ces pays ont atteint leur sommet au niveau économique. Tout ce qui est constructions, infrastructures, savoir-faire, industrie a été acheté durant des années. Ces pays ont obtenu leur indépendance tardivement. Aujourd'hui, ils ont besoin de divertissement, de vivre leur vie. Parce qu'on arrive vers l'étape de la réflexion, donc, il faut donner du divertissement à ce peuple pour éviter qu'il réfléchisse. Un pays qui offre 3000 chaînes gratuitement en Europe ou aux Etats-Unis, il n'y en a pas. Dans les pays du Golf tout est gratuit pour le citoyen. Ce n'est pas un point positif, au contraire. L'homme est considéré comme un objet de consommation et il doit toujours être consommateur. Ce réveil est un réveil de consommation. C'est l'une des plus importantes sociétés de consommation qui existe au monde aujourd'hui. Donc elle a besoin de consommer des produits audiovisuels et qui peut fournir cela, ce sont les pays du Maghreb, mais surtout l'Egypte, la Syrie et la Turquie maintenant. La Turquie joue avec cela à travers les films doublés en dialecte syrien. Comment a démarré l'idée d'adapter le dialecte syrien, alors que dans le passé c'était les Libanais qui doublaient la majorité des feuilletons mexicains, brésiliens ou européens? Je connais l'origine de cette démarche, c'est Laura Abou Assaed, l'actrice syrienne qui a eu l'idée de comment faire pour le low-season, comment remplir les heures d'antenne et revenir à ce qui se faisait avant. Effectivement, les Libanais doublaient les feuilletons mexicains et brésiliens dans les années 1970 et 1980. Il y avait une distance culturelle entre la Syrie et la Turquie, on fait partie des peuples de la Méditerranée, on a quelques similitudes avec la Turquie, notamment concernant l'Islam. De plus, le dialecte de Damas marche très bien avec les pays du Golfe. Ils ont essayé avec deux premiers feuilletons qui n'ont pas trop marché et c'est le feuilleton Nour qui a fait exploser l'audimat dans les pays arabes. Depuis, des boîtes se sont ouvertes et les acteurs syriens sont devenus des doubleurs à 50 dollars la journée. Si tu calcules, ils font 1500 dollars par mois sans faire trop d'efforts, puisqu'à la base, ce sont des acteurs de théâtre. Ils reprennent un texte qu'on leur donne, c'est tout. Pour revenir un peu au festival, avant de venir à Oran vous avez eu une aventure avec le Festival de Dubaï. Pouvez-vous me raconter ce qui s'est réellement passé! La direction et le comité de sélection de Dubaï a sélectionné le film en août, et ils ont envoyé la première invitation en début octobre, après avoir conclu un accord avec les producteurs pour que ça soit la première mondiale du film. De ce fait, nous avons annulé la participation dans les autres festivals. On a annulé Montpellier, Le Caire et Carthage pour respecter cet accord entre la production et le Diff (Dubaï International Film Festival). Le 26 novembre, ils annoncent le programme avec la présence de mon film, les billets commencent à se vendre en ligne et plus de 500 billets ont été ainsi vendus. Mais quelques jours après, on reçoit une lettre, comme quoi, même si le sujet du film est humaniste, le réalisateur n'est pas le bienvenu au Festival. On a découvert par la suite que c'était une décision politique du gouvernement émirati, suite à une pression de l'opposition syrienne et à une demande de quelques collègues syriens. Cette affaire à nui au film, mais ça montre aussi que d'un autre côté, quand on demande de se débarrasser de la répression, il faut être très vigilant à ne pas être répressif en le faisant. Je remercie le Festival du film arabe d'Oran, de m'avoir donné la possibilité de montrer mon film. Je crois que le film peut se défendre. Je tiens à dire aussi que la direction du Festival de Dubaï était obligée d'écarter le film et que c'est une décision qui la dépasse. Est-ce que vous pensez que cet épisode démontre qu'il y a politisation des films dans les festivals arabes? Ce qui s'est passé on le décrypte avec le recul d'un oeil critique. Ce ne sont pas des festivals libres. Donc on arrête de dire que nous sommes indépendants et libres. Il faut avouer comme Cannes, Berlin, comme tout autre festival, est politisé d'une manière ou d'une autre. Arrêtons de véhiculer cette image d'indépendance artistique. Moi je regarde toujours le côté positif de la chose, et je suis gagnant, c'est sûr. Si j'étais à leur place, je laisse le film être projeté et pendant la conférence de presse on me laisse répondre aux critiques. Je suis un individu face à tout le monde. C'est ça la démocratie et la liberté d'expression. Si on nous accuse d'avoir tué quelqu'un ou d'aider à tuer quelqu'un, là c'est autre chose, mais ni Abdeltif, ni Bassel, ni moi avions tué quelqu'un. Notre tort c'est d'avoir fait des films et c'est tout. Je ne sais pas utiliser une arme, je n'ai pas fait mon service militaire, on n'a que nos opinions et nos idées. Cette démarche nuit au festival arabe, regardez ce festival qui est accusé d'être financé par l'Etat, il reçoit tout le monde. L'année où il y a eu le problème entre l'Algérie et l'Egypte à cause du football, un film égyptien était présent en compétition et il a obtenu un prix. Malgré la guerre en Syrie, la majorité des cinéastes syriens n'ont pas quitté le pays. Pourquoi? Je peux parler de moi et d'un réalisateur opposant, Mohamed Abdelaziz, dont le tournage du film va bientôt commencer. Pour moi, j'ai les moyens de partir et dans n'importe quel pays d'Europe. Mais je n'ai pas envie qu'on me dise dans dix ans, quand je ferais mon film: «Ah tu n'étais pas là!» Eh bien non, j'étais là, je risquais ma vie comme vous et j'ai partagé les mêmes crises de mazout, de pain etc., et donc j'ai le droit de parler de ce que j'ai vécu. Je parlerai des nuits noires, des bombes, du bruit des kalachnikovs et de tout. Certains disent que la Syrie est en train de vivre une situation plus violente que la situation vécue par le Liban durant la guerre civile. Non, c'est différent, on n'est pas encore là, pour une simple raison, l'Etat est encore là, alors qu'au Liban, au bout de six mois, il n'y avait plus d'Etat. J'espère qu'on n'arrivera pas à cette étape. Mais il y a une crise économique qui asphyxie le pays et c'est dommage, car la population manque de tout. Les sanctions européennes croyez-moi ne touchent pas le régime. Parce que tous les besoins du pouvoir peuvent être pourvus par la contrebande par la frontière libanaise ou d'ailleurs. C'est le peuple syrien qui subit le plus ces sanctions.