Le général Lamari fixe les lignes rouges à ne pas franchir par le futur président s'il espère être dans les bonnes grâces de l'armée. Quelques jours à peine après la déclaration des Onze, dans laquelle il est demandé à l'Armée nationale populaire de garantir la transparence des urnes, le général Lamari rompt le silence et donne déjà une première grille de lecture. Il s'agit bien d'une grille de lecture, parce que le chef d'état-major se garde bien d'interférer dans le jeu politique et dans les joutes qui opposent les différentes parties, mais il précise bien que l'armée ne saurait être neutre. Ce qui est déjà un élément d'appréciation très important. Cette déclaration de Mohamed Lamari a été faite à deux quotidiens nationaux, El Khabar et Le Matin, en marge de la visite qu'a effectuée le président de la République au Musée de l'armée, qui se trouve à Riadh El Feth, visite à laquelle n'ont été invités, précise Le Matin, que les journalistes des organes publics. Mais ce n'est là qu'un détail. Aux sources de toute la polémique actuelle sur le rôle de l'armée dans le processus électoral, on trouve la déclaration faite il y a quelques mois par le général-major Lamari dans une interview accordée à un journal égyptien, dans laquelle il est spécifié que l'ANP respectera le candidat élu par le peuple, fût-il Abdallah Djaballah. La lecture qui a été faite par les différents acteurs et par les commentateurs est que l'armée se retire totalement du champ politique. Non seulement l'ANP ne favorise plus un courant au détriment d'un autre, comme cela avait été le cas en 1992, en laissant toutes ses chances à un éventuel président islamiste, mais en plus le président en exercice lui-même, que certains soupçonnent d'être en froid avec la grande muette, a pu penser que le message s'adressait aussi à lui et que les portes d'un deuxième mandant ne lui sont pas fermées, d'autant plus qu'il part favori grâce aux privilèges liés à sa fonction. Aujourd'hui pourtant, M.Lamari précise les contours de ce retrait de l'armée, car il s'agit bien de retrait et non de neutralité. Retrait veut aussi dire état de veille, observation. C'est un peu le soldat de garde qui est dans sa guérite et surveille les alentours. Qui plus est, l'armée est consciente de la situation de crise dans laquelle se trouve le pays, aggravée par plus de dix ans de violence, un chômage endémique, une classe politique plus que jamais déchirée, et un chef de l'Etat qui a fait le vide autour de lui, alors qu'au début de son quinquennat, son pouvoir était tissé autour d'une coalition de partis majoritaires au parlement et dans le pays. Cette coalition, hélas, a aujourd'hui volé en éclats. Revenant donc sur le sens qu'il convient de donner à ce retrait de l'armée, le général Lamari fixe les lignes rouges à ne pas franchir par le futur président s'il espère être dans les bonnes grâces de l'armée. Pour cela il énumère quatre conditions, à savoir qu'il respecte la Constitution, le multipartisme, le modèle républicain et le peuple. La suite de la déclaration sonne comme un avertissement: «Celui qui ne respecte pas ces principes, l'armée le rejettera.» Le général Lamari va encore plus loin en ajoutant: «Cela veut dire que nous demandons au candidat islamiste de ne pas mêler la religion aux affaires politiques.» Cette dernière précision nous rappelle le constat fait par le général au cours d'une conférence de presse, reprise par la télévision nationale: si le terrorisme est vaincu militairement, l'intégrisme, qui lui sert de substrat, continue de sévir et il a de beaux jours devant lui. Aux autres questions qui lui sont posées, le général-major a répondu avec la même clarté. Ainsi, il a demandé des preuves concernant les éventuelles critiques du président à l'égard de l'institution militaire, ou de pratiques contraires à la Constitution. En d'autres termes, l'armée reste sereine et ne se laisse pas entraîner sur de fausses pistes, tout en imaginant «un nombre de scénarios qu'elle ne peut pas dévoiler actuellement». Nous sommes déjà dans la prospective. Longtemps vilipendée et tenue pour responsable de tous les malheurs du pays, l'armée apparaît aujourd'hui comme la gardienne vigilante à la fois du multi-partisme comme du modèle républicain. Vis-à-vis du groupe des Onze, le général Lamari fait remarquer que ceux-là mêmes qui avaient demandé le retour de l'armée dans les casernes souhaitent aujourd'hui la voir intervenir. «Que veulent-ils? s'interroge-t-il. S'attendent-ils à ce que nous limogions Abdelaziz Bouteflika? C'est une chose très improbable.» Que faut-il en penser, sinon que l'armée n'est pas ici pour fomenter des coups d'Etat, mais qu'elle reste la gardienne de la souveraineté populaire et de la stabilité du pays. Si elle observe une certaine réserve, cela ne veut pas dire qu'elle se désintéresse de la chose publique. Bien au contraire, elle reste un partenaire et un acteur incontournables, tout en se voulant au-dessus de la mêlée. Ce changement qualitatif important dans l'attitude de l'armée est un fait qui sera au centre des débats à l'occasion de la présidentielle de 2004. L'Algérie vient de franchir un pas considérable.