Le réservoir électoral des corps constitués est une carte-maîtresse entre les mains du chef du gouvernement. C'est à un véritable coup de théâtre que nous ont réservé, hier, les sénateurs du RND lors de l'ouverture des débats relatifs au projet de loi électorale, amendant la loi organique 96-07. Si les intervenants, toutes couleurs politiques confondues, ont abondé dans le sens de l'adoption, confirmant ainsi le scénario vécu à l'APN au lendemain de la «marche mouvementée» des députés et cadres du FLN, la moitié des sénateurs à avoir pris la parole, appartenant au parti d'Ahmed Ouyahia, ont violemment contesté ce projet de loi. L'étonnement est d'autant plus de mise dans de pareils cas que le groupe parlementaire de ce même parti avait favorablement accueilli l'initiative, une fois «nettoyée» des initiatives et propositions d'amendement gênant Zerhouni. Que s'est-il donc passé chemin faisant? Aux yeux des observateurs, il ne fait pas de doute que cette sortie inattendue constitue une sorte de réponse indirecte aux revendications du groupe des onze. Au moment où celui-ci revendiquait d'autres garanties, voilà que l'annulation des bureaux spéciaux est de nouveau remise en cause. Un élément de plus, dans le trouble politique actuel, passible d'accentuer la crise, et de relancer avec force les récriminations de l'opposition politique et des candidats à la magistrature suprême du pays. Il peut également s'agir d'un élément de plus à ajouter au dossier d'interpellation de l'ANP, dont la neutralité ne veut nullement dire inaction, ni retrait définitif de la scène politique dans le cas où le besoin s'en ferait impérativement sentir. C'est ce qu'a, en substance, indiqué le chef d'état-major de l'ANP, Mohamed Lamari. Il avait, auparavant, par la voix de son représentant reçu par la commission juridique de l'APN, «n'avoir aucun inconvénient à ce que les bureaux spéciaux soient supprimés». Le parti d'Ahmed Ouyahia, dont le soutien à Bouteflika a officiellement été annoncé, ne peut agir en solo dans une pareille montée au créneau contre la loi-Djaballah. Le vote des corps constitués, formés par les éléments de l'ANP, de la gendarmerie, de la police et de la Protection civile, représente un réservoir électoral «officiel» de pas moins de 600.000 voix, selon les propres déclarations du ministre de l'Intérieur, Yazid Zerhouni. Il est vrai que le sujet a de quoi déchaîner les passions. Face à la défection populaire de plus en plus prononcée devant les urnes, ce vivier électoral, s'il est de nouveau garanti à travers le maintien des urnes dans les casernes, peut aider à hausser très sensiblement le taux de participation lors de la prochaine présidentielle. Ces voix peuvent également servir d'atout majeur en faveur de celui qui pourrait en disposer, même si l'éventualité demeure fort hypothétique depuis que l'armée a décidé de ne plus «adouber» de candidat. En revanche, le revirement des éléments du RND peut être assimilé à un appel du pied en direction de l'institution militaire dont la fermeté de ton promet de ne pas laisser commettre indéfiniment les dépassements de l'administration contre des partis, des associations et des cadres, seulement coupables d'éprouver quelque sympathie pour tel ou tel homme politique. Dans le cas où les troupes d'Ouyahia maintiendraient leur position alors qu'ils jouissent de la majorité au sein de la chambre haute du parlement, grâce à la crise qui secoue le FLN, force est de constater que les institutions manqueront cruellement de temps pour mettre en application cette loi avant la prochaine présidentielle. L'article 120 de la Constitution prévoit, dans ce cas précis, la convocation par le chef du gouvernement d'une commission paritaire. Reste à supposer que ce coup de gueule est peut-être assimilable à un coup de bluff qui n'ira pas au-delà de simples déclarations d'intention.