«Les députés légitimes boycottent le chef du gouvernement illégitime.» Comme il fallait s'y attendre, le groupe parlementaire du FLN, presque au grand complet depuis l'échec cuisant des redresseurs, a préparé à sa manière une «cérémonie» de clôture de la session d'automne de l'APN. Un climat électrique était déjà perceptible des heures avant la séance, à la suite d'un point de presse organisé par le groupe, durant laquelle a été rendu public une sorte de livre noir sur les dépassements du président Bouteflika. (Lire l'article de Brahim Takheroubt). A l'hémicycle, l'entrée d'Ouyahia crée un début de brouhaha dans la salle. L'absence d'une partie des députés du FLN avait été remarquée par les présents. Il s'agit des fameux «indus élus» que le chef du gouvernement a promis de révoquer «dans des délais raisonnables». Le groupe, plus d'une vingtaine de personnes, entre immédiatement après Ouyahia, par la même porte, brandissant deux banderoles sur lesquelles il était loisible de lire «Les députés légitimes boycottent le chef du gouvernement illégitime». Sous les acclamations à tout rompre de leurs pairs, ils entament une petite marche, narguant le chef du gouvernement qui, au prix d'un courage surhumain, a réussi à ne pas se départir de son calme désormais légendaire. Karim Younès, qui présidait la séance, s'est cantonné dans un silence olympien, laissant s'exprimer les siens comme ils l'entendaient, puisque la violence n'était pas de la partie. Les «manifestants» qui ont réussi à électriser l'hémicycle, laissant planer un silence de mort. Un mot très bien choisi pour la circonstance comme va le prouver le discours du président de l'APN. Ce dernier, au bout de quelques minutes de silence, demande la permission de s'absenter quelques minutes. Le groupe du FLN accorde son autorisation en l'applaudissant, une fois de plus, à tout rompre. Il a essayé de convaincre les boycotteurs de rejoindre la salle: «Je suis de tout coeur avec vous, mais je vous demande quand même de rejoindre vos places.» Commence enfin le discours. Historique s'il en est. Dans lequel il commence d'emblée par maintenir et assumer les propos du 2 septembre 2003, qui avaient soulevé la polémique sous prétexte qu'ils s'adressaient au gouvernement et au président. «J'ai exprimé le fond de mes pensées sur l'ordre républicain que transcrivent la lettre et l'esprit de notre Constitution», souhaitant au passage que ces mêmes convictions soient partagées par tous puisque «tous dans cette salle, gouvernement et parlement, nous avons une responsabilité collective sur ces questions». Commence alors une série de messages codés destinés à remettre à leur place ceux qui versent ostensiblement dans l'abus de pouvoir et les transgressions des lois de la République. «Nul n'est éternel sur cette terre ; nous sommes tous en transit temporaire quelque part entre le néant et l'au-delà, sur une terre où nous nous soumettons aux lois divines, et puis nous partirons pour redevenir la poussière que nous avons été.» Usant d'un ton au lyrisme empesé, Karim Younès a poursuivi pour dire: «Nous répondrons de nos paroles et de nos actes un jour, et le Tout-Puissant sera alors seul juge de ce que nous aurons fait ici-bas (...) Mais nous répondrons d'abord devant le peuple, de ce qu'auront été nos paroles et nos actes.» Le isme d'un pareil discours n'a trompé personne puisque Karim Younès a souligné qu'il aura à en dire plus dans les tout prochains jours, sans doute lors d'une déclaration qu'il s'apprêterait à rendre publique. C'est le respect de l'institution qu'il préside et de la tribune à partir de laquelle il s'est exprimé qui semble l'avoir empêché d'aller plus loin dans ses dissertations. Dès la fin de ce discours, le groupe parlementaire du FLN quitte bruyamment la salle, boycottant la suite de la cérémonie. Il improvise un sit-in pour écouter l'hymne national de clôture avant d'entamer une marche, ponctuée de slogans favorables à la démocratie, à la liberté d'expression et au patriotisme le plus pur, principe fondateur du FLN originel.