Unique dans les annales, une rébellion portée à bout de bras par le Qatar a été admise à siéger à la table de souverains et chefs d'Etat. Un précédent tout simplement inimaginable, sans exemple politique et diplomatique ancien ou récent. Au final, la volonté du Qatar - qui accueille la 24e session du Sommet arabe - d'adouber des rebelles à la place de l'Etat régalien syrien aura triomphé, à la grande mortification - en sont-ils seulement conscients? - des Etats arabes qui, tétanisés par la «puissance» du minuscule émirat, n'ont pas eu le courage de dire non. Non à cette caricature. Même les deux pays - l'Algérie et l'Irak - qui ont émis des «réserves» sur l'invitation faite aux rebelles, n'ont pas eu le réflexe de se retirer d'un sommet qui n'avait plus de sens. Le Monde arabe vient de gravir un nouvel échelon dans la déchéance, la soumission et l'absurde. Faut-il en vouloir au seul Qatar? Certes non, dès lors que le richissime émirat du Golfe n'a pas trouvé de répondant à même de contenir son volontarisme comme de remettre les choses dans les normes du droit international et des relations entre nations. Or, la «puissance» factuelle du Qatar est synchronique à la faiblesse des Etats arabes. Par faiblesse, nous entendons la pusillanimité dont font montre des Etats dont la puissance - sous toutes ses formes - s'exerce uniquement contre leurs peuples et le droit républicain. Vous vous imaginez le duché du Luxembourg - le pays le plus riche de l'Union européenne et tout aussi minuscule que le Qatar - imposer à ses pairs européens d'introniser à la place d'un Etat membre de l'UE ses opposants armés soutenus de l'extérieur? Bien sûr que non, tellement c'est insensé! C'est là un exemple extrême, certes, mais qui explique bien ce qui s'est passé au sommet de la Ligue arabe. La rébellion syrienne pouvait être fondée, mais jusqu'à ce que le peuple syrien l'intronise lui-même en tant que pouvoir légitime, celle-ci reste ce qu'elle est une mutinerie, que les lois et le droit internationaux condamnent, qui n'avait en aucun cas sa place parmi les Etats présents à Doha. A ce que l'on sache, hier encore, Bachar al-Assad était un pair de ces présidents et monarques que l'absolutisme caractérisait. Dès lors, quel crédit et intérêt accorder à un «sommet» arabe qui piétine des règles universelles, qui donne accès aux rebelles à une organisation telle que la Ligue arabe? Sur quels critères de droit ou de jurisprudence se sont basés ceux qui ont imposé cette énormité au Sommet arabe? Plus, quel crédit les organisations continentales - Union africaine, Union européenne, Organisation des Etats américains, voire l'ONU - accorderont-elles désormais à une organisation qui a créé ce fâcheux précédent? De fait, sautant sur l'occasion, la rébellion syrienne exige maintenant la place de la Syrie aux Nations unies. Quel sens devrons-nous, à l'avenir, donner au droit des peuples à choisir leurs dirigeants dès lors que des forces extérieures peuvent désigner et décider à la place de ces peuples de ce qui est bon pour eux? La dérive et les errements de ladite Ligue arabe dépassent en réalité le cas de la seule Syrie si l'on excipe du fait que la rébellion syrienne est d'abord une action délibérée, fomentée, financée, armée et téléguidée de l'étranger, soutenue par le Qatar et l'Arabie Saoudite et appuyée par des pays occidentaux tels que la France et les Etats-Unis. Ce qui s'est passé en Libye d'abord - sous couvert de «Printemps arabe» - en Syrie ensuite, constitue une rupture fondamentale avec les normes du droit international sur lequel sont basées les relations internationales et la raison d'être d'organisations telles que l'ONU et/ou régionales et continentales telles que la Ligue arabe. Le coup de force réalisé par le Qatar contre la Syrie, va en droite ligne de l'invasion états-unienne de l'Irak en 2003 - malgré le veto du Conseil de sécurité de l'ONU. De fait, le grave précédent commis à la Ligue arabe, comme la guerre imposée par les Etats-Unis à l'Irak, n'ont de sens que celui que leur donnent les puissants qui agissent d'abord, dans leurs propres intérêts géostratégiques et politiques. Nous revenons en fait à l'adage qui dit que la raison du plus fort est toujours la meilleure, remise à l'ordre du jour, même si celle-ci piétine et défait tout ce que l'humanité a patiemment construit au cours des siècles. C'est le premier constat à faire de la faute commise à Doha.