Les élections seraient en passe de devenir le grain de sable faisant obstacle au plan américain. La mission des Nations unies d'évaluation de la faisabilité d'élections en Irak, dirigée par Lakhdar Brahimi, a commencé depuis son arrivée, samedi, à Bagdad par des consultations avec les principales parties irakiennes concernées par la mise sur pied de la future assemblée constituante. Le différend tourne autour des élections directes réclamées par la communauté chiite mais dont la faisabilité reste sujet à caution, dans les temps impartis par l'accord du 15 novembre conclu entre les puissances occupantes et le Conseil transitoire de gouvernement irakien. Les chiites, premiers concernés par ce dossier, ont plaidé hier auprès de Lakhdar Brahimi, conseiller spécial du secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, pour l'organisation d'élections directes au suffrage universel. Ainsi, selon le dirigeant chiite, Abdelaziz Al-Hakim, ces élections peuvent avoir lieu dans les temps indiqués, affirmant: «A notre avis, cela est possible et nous avons présenté une étude scientifique réalisée par des experts à M.Brahimi sur le sujet», ajoutant «Nous avons présenté de nombreuses preuves montrant que la tenue des élections était possible». Toutefois, cet avis est loin d'être partagé par les autres communautés irakiennes et singulièrement par le Conseil transitoire de gouvernement lequel, selon un de ses membres, est plutôt favorable au report, à l'après-transfert de souveraineté, de l'organisation d'une telle consultation électorale. Ainsi, selon Hamid Majid Moussa, représentant du PC irakien au Conseil, «La majorité (du Conseil) prône la patience afin que les élections soient bien préparées aux niveaux technique, politique et sécuritaire». Cette déclaration a été faite après l'entrevue, dimanche, entre les experts de l'ONU et les membres du Conseil transitoire irakien. En réalité, il existe un problème de fond dans l'exigence formulée par la communauté chiite laquelle estime que ses droits ne sont pas pris en compte, comme cela a été sous la dictature du Baas, et veut aujourd'hui faire valoir ses droits d'autant plus qu'elle représente la majorité du peuple irakien. Aussi, dès que l'administrateur en chef américain en Irak, Paul Bremer, a rendu public le 15 novembre dernier l'accord réalisé avec le Conseil provisoire du gouvernement irakien, préparant les étapes précédant le transfert de souveraineté, il était patent que la communauté chiite n'y trouverait pas son compte. Ce qui détermina la plus haute autorité chiite, le grand ayatollah Ali Sistani, à s'opposer à cet accord et à exiger des élections directes. D'autant plus que ces élections avaient pour objectif de désigner l'assemblée constituante irakienne. D'où l'importance stratégique pour les chiites d'y figurer en bonne place d'autant plus que le contenu de la loi fondamentale déterminera le futur de l'Irak. Ali Sistani a fini cependant par transiger en acceptant la venue d'une mission onusienne d'évaluation de la faisabilité de telles élections. Le grand ayatollah a alors indiqué qu'il accepterait l'avis que donneront les experts de l'ONU. Ces derniers, menés par Lakhdar Brahimi, ont entrepris démarches et consultations auprès de toutes les parties irakiennes intéressées par cette question. Ainsi, dans une de ses premières déclarations à la presse, Lakhdar Brahimi a indiqué que «l'ONU assure le peuple irakien qu'elle fera tout ce qui est possible pour l'aider à sortir de sa longue épreuve, à recouvrer son indépendance et sa souveraineté, et à reconstruire l'Irak». A l'évidence, les Nations unies veulent rester prudentes en ne prêtant le flanc à aucune critique en donnant l'impression de pencher pour l'une ou l'autre thèse. En fait, des élections directes au suffrage universel restent certes la solution la plus indiquée mais, dans le même temps, il y a toujours ces impondérables comme l'impossibilité de réunir dans des conditions optimales le corps électoral. D'un autre côté la désignation, aussi impartiale soit-elle, de membres d'une assemblée aussi déterminante chargée de la mise au point de la loi fondamentale, pose en effet problème et, en tout état de cause, demeure antinomique de la démocratie et du suffrage universel. Concilier ces deux positions antagonistes, pour permettre à l'Irak d'aller de l'avant et de prendre son destin en main, est en fait, la difficile responsabilité confiée à M Brahimi et aux experts de l'ONU. Le retour en Irak, des Nations unies - appelé de leurs voeux par les Irakiens - sera en fait essentiel pour l'avenir de ce pays, tout en donnant au Conseil provisoire de gouvernement irakien de rompre son tête-à-tête avec les forces d'occupation américano-britanniques.