Sur fond de violence récurrente, les Etats-Unis tentent de trouver une issue à la controverse sur la désignation de l'assemblée constituante. Sortie contrainte et forcée du champ politico-sécuritaire irakien, l'ONU revient en Irak par la grande porte, doublement sollicitée par les puissants Etats-Unis - qui l'ont marginalisée sans ménagement dans l'affaire des armes de destruction massive irakiens - et celle du Conseil transitoire du gouvernement irakien. Ce n'est pas le triomphe certes, pour les Nations unies, mais plutôt un retour aux normes que Washington a tenté de biaiser en voulant imposer son unilatéralisme à la planète entière, alors que le président Bush se comportait comme un empereur regardant le monde du haut de la toute puissance américaine. L'ONU en Irak, ce qui, il faut le noter, n'est pas encore chose faite, ce n'est en réalité qu'un juste retour des choses à leur place naturelle. L'Irak a administré, s'il en est encore besoin, la preuve que la force ne règle rien et que l'aide de plus petits est toujours la bienvenue. Toutefois, échaudé par les péripéties dramatiques auxquelles elle a été confrontée en Irak, l'organisation internationale se tâte encore pour savoir si elle officialisera son retour dans un pays plus que jamais meurtri par la guerre que lui imposa la coalition américano-britannique. Aussi, dans un premier temps, la mission dépêchée par le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, à Bagdad aura un simple rôle consultatif en s'efforçant d'évaluer la faisabilité d'une élection générale d'ici au 30 juin prochain. Elections que tous les analystes et observateurs disent impossibles à tenir dans la situation actuelle de l'Irak. L'une des conditions demeure la clause sécuritaire, qui fait que les envoyés onusiens sont arrivés incognito, ne se faisant annoncer qu'une fois sur place. Ce qui fit dire hier au secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, «Je suis heureux d'annoncer que mon équipe est arrivée maintenant à Bagdad et va entamer des consultations avec les responsables irakiens et l'autorité provisoire de la coalition (puissance occupante américano-britannique)». Notons que c'est la première mission de l'ONU qui arrive en Irak depuis l'évacuation en catastrophe des envoyés onusiens, en août dernier, après l'assassinat du secrétaire général adjoint de l'ONU, représentant spécial de M.Annan en Irak, Sergio Vieira de Mello. La mission de l'ONU doit donner un avis sur la faisabilité d'élections directes comme le réclament les chiites, engagés par ailleurs dans des pourparlers difficiles avec les autres composantes irakiennes sur la future Constitution provisoire de l'Etat irakien. Ces discussions sont d'autant plus difficiles que les membres du Conseil transitoire de gouvernement divergent sur nombre de points essentiels d'une loi fondamentale qui doit gérer l'Irak, durant au moins 18 mois, à partir du 1er juillet prochain après le transfert de souveraineté au gouvernement provisoire irakien, lequel aura alors jusqu'au 31 décembre 2005 pour finaliser l'ensemble des structures du futur Etat démocratique irakien. Pris par le temps, les Américains désirant se désengager rapidement du bourbier irakien, veulent ainsi rééditer le scénario afghan qui permit à la Loya Jirga (assemblée des tribus) de mettre en forme les nouvelles institutions du pays. Toutefois, l'Irak n'est pas l'Afghanistan, et les tribus, quoique présentes, n'ont jamais eu d'influence importante, ni joué de rôle politique décisif - qui était le leur en Afghanistan - dans un Irak citadin et plus ou moins laïcisé. De plus, ressusciter le dogme tribal, comme veulent le faire les Etats-Unis, est antinomique avec les principes de démocratie. Alors à quel jeu jouent les stratèges américains qui semblent privilégier la carte de la division comme en attestent les privilèges accordés aux Kurdes, pratiquement autonomes depuis 1991 qui en réclamant l'institution du fédéralisme en Irak induisent un véritable grain de sable pouvant mettre à mal l'unité nationale future de l'Irak. Aussi, piégé dans l'imbroglio irakien, Washington appelle l'ONU à la rescousse. Serait-ce suffisant?