Scène du film Frontalement, le film de Chérif Aggoune se veut une photographie de notre tragédie nationale que le réalisateur a tenté d'en restituer les traits tant bien que mal. La tragédie nationale n'a pas révélé tous ses secrets. Ce serait incongru de dire que le cinéma algérien a fait le tour de la question. Que nenni! Hier, la salle Ibn Zeydoun nous donnait à voir justement un film qui traite de cette période. Frontalement, le film de Chérif Aggoune (son premier long métrage) évoque ce passé sanglant sans détour. L'histoire se passe à quelques kilomètres d'Alger, dans un hameau verdoyant où règne en apparence un calme virginal. L'on comprendra vite qu'il précède la tempête en réalité... Achour, alias Khaled Benaïssa exploite une ferme avec ses deux frères Djelloul et Mourad. «Le sang reprend racine. Oui, Nous avions tout oublié/ Mais notre terre/ En enfance tombée/ Sa vieille ardeur se rallume/ Et même fusillés/ Les hommes s'arrachent à la terre/ Et même fusillés/ Ils tirent la terre à eux/ Comme une couverture/ Et bientôt les vivants n'auront plus où dormir/ Et sous la couverture/ Aux grands trous étoilés/ Il y a tant de morts/ Tenant les arbres par la racine/ Le coeur entre les dents...» est un extrait de Poussière de Juillet, poème de Kateb Yacine. Un texte fort et bien émouvant qu'a choisi le réalisateur pour ouvrir les images de son film. Nous sommes au milieu des années 1990 et en ces temps-là, ce sont les bombes et les rumeurs macabres qui viennent perturber notre sommeil. Des terroristes armés s'en prennent de plus en plus aux villageois et attaquent des fermes isolées.. Achour meurt dans un attentat tendu aux forces de sécurité, laissant une femme, Houria, brillamment interprétée par Samia Meziane et deux enfants en bas âge sans oublier une famille entière...Houria a un frère Djelloul alias Nadjib Oulbcir qui se fait raquetter par les terroristes. Mais un jour, il en a marre et décide de rassembler les gens du village pour faire comme ses voisins du haouch Grau et s'armer pour défendre ses terres et sa famille contre les terroristes. Un soir, ces derniers viennent se venger et attaquent la maison. Des hommes dont on ne verra ni le visage, ni entendra le son de leur voix. On suivra juste la trace de leur bras. Une séquence, certes terrifiante, mais plutôt lisse, proprette, un peu trop. Dénuée de tache de sang. Mais là n'est pas le problème. Le réalisateur a choisi de filmer une violence muette sans grande âme dramaturgique si ce n'est la musique de Safy Boutella venant à la rescousse qui sauvera les apparences. Samia Meziane comme dans le film Le Voyage à Alger puisera dans son regard toute la force psychologique pour toucher le public. La famille de Achour est donc décimée lors d'une attaque de la ferme. Sa femme Houria réussit à s'échapper et à sauver les enfants. Ses deux belles-soeurs ont été kidnappées. Houria est promue au rang d' «héroïne». Il est vrai que survivre à un tel massacre est en soi un miracle. Elle est recueillie à Alger par sa famille.Mais des conflits ressurgissent. Houria veut subvenir aux besoins de sa famille, travailler et vivre seule dans un appartement avec ses enfants. Sa mère s'y oppose et son grand frère, campé par Arslane Lerari, la trompe à son tour en subtilisant toutes ses économies. Seule, face au destin, Houria résiste. Chérif Aggoune ne se contente pas d'évoquer le passé, mais suit pas à pas, les traces de cette femme courage dont le temps est ballotté entre le commissariat et l'association des femmes victimes du terrorisme. Une femme qui «continue à chercher la vérité». Pour ce faire, le réalisateur, pour plus de crédibilité, sans doute décide de filmer Mme Flici dans son oeuvre. Choix délibéré qui nous projettera en plein coeur du réel, à la lisière de cette fiction dont d'aucuns ressentiront dans leur chair les spasmes de leurs blessures pas encore cicatrisées. Houria reprend son appareil photo, délaissé à la maison et comme pour tordre le cou à son funeste passé en use comme un outil, fixateur du présent, pour «que nul n'oublie», semble dire Chérif Aggoune. Aussi, ces scènes de mariage que Houria va filmer, bien qu'incongrues, démontrent aisément, si besoin est, que la vie continue malgré tout. Si le scénario ne souffre d'aucune lourdeur, il pêche toutefois par un je-ne-sais quoi de simplicité «scolaire» dans la narration. Un film sans trop de fioritures certes qui pose la question cruciale de «qui tue qui?». C'est ce qui fera dire au réalisateur que la fin de son film reste «ouverte», car la quête de la vérité est toujours en marche. Belle photographie de notre tragédie nationale que le réalisateur a tenté de restituer tant bien que mal. Un effort louable, car il en faut encore et encore des films sur ce sujet. «Le propre du cinéma c'est, non seulement raconter soi, mais aussi son pays. On ne peut pas faire du cinéma sans se regarder. Il faut en parler indéfiniment et ne pas oublier... Regardez le cinéma américain, le sujet principal ce sont les USA», a confié le cinéaste qui ambitionne de faire une trilogie. «Ce sera un triller et une fresque historique..» a-t-il conclu.