Le document, qui s'étale sur six pages, a été transmis, hier, à l'ensemble des institutions nationales et internationales. Le fameux mémorandum du groupe des onze, dont nous avons obtenu copie en exclusivité, revient tout au long de six longues pages sur les dérapages et dépassements commis par le président Bouteflika. Répartis en quatre grands chapitres distincts, ces manquements concernent «le dépouillement des représentants du peuple de leurs attributions essentielles (...), l'accaparement des attributions du chef du gouvernement, le mépris affiché à l'égard des institutions constitutionnelles et, enfin, les manquements aux règles de la démocratie et les atteintes aux libertés et droits fondamentaux de l'homme et du citoyen». Le document, dont nous avons obtenu copie en exclusivité, indique en préambule que «bien que n'ayant pas annoncé officiellement sa candidature, tout porte à croire que le chef de l'Etat sera partant pour cette échéance comme l'indique la sur-campagne électorale prématurée qu'il mène tambour battant». Ainsi, et sans «dénier le droit à quiconque de présenter sa candidature», il est mis en exergue «les prémisses d'une compétition déloyale.» Les signataires, pour introduire leur sujet, déclarent ne pas être étonnés par ce coup de force partant du constat que son auteur «a fait du mépris des normes constitutionnelles un mode de gouvernance.» Concernant le premier chapitre, donc, il est fait état du recours systématique aux ordonnances (onze au total), alors que son prédécesseur ne l'avait pas fait du tout. Ainsi, et même si l'article 124 de la Constitution, autorise ce genre de recours extrême, il n'est permis que durant l'intersession parlementaire ou en cas de vacance de l'APN, ce qui n'a pas été le cas ici. Le document met également en avant le cas de la grâce amnistiante, «véritable concentré de la violation de la Constitution, d'accaparement des prérogatives du parlement et du chef du gouvernement et d'atteinte à la séparation des pouvoirs». Pour ce qui est du second chapitre, il est fait état de la violation de «l'article 85 de la Constitution dont les dispositions ont été (mises à bas) par le décret présidentiel 99-240 relatif à la nomination aux emplois civils réservant ce pouvoir au seul chef de l'Etat». Le document relève, citant d'autres textes législatifs, qu'«il en va de même pour ce qui concerne l'application des lois.» Suit un chapelet de mesures, concernant les magistrats, le monde du travail, les cadres supérieurs de l'Etat, avec lesquels le président s'est arrogé d'autorité des prérogatives censées être constitutionnellement, du seul ressort du chef du gouvernement. En troisième lieu, le récent mouvement dans le corps des magistrats a, lui aussi, ignoré la loi puisque les «nominations, mutations et déroulements de carrières sont du ressort exclusif du conseil supérieur de la magistrature selon l'article 155 de la constitution.» Idem pour la prorogation du mandat du président du Conseil constitutionnel, mais aussi le retard pris dans la nomination de son successeur. Sur la foulée, il est rappelé la «réduction» du mandat du président du sénat et la mise au rebut du Haut Conseil islamique censé être consulté autant de fois que nécessaire. Le document relève, à ce propos, que «les opportunités n'ont pas manqué». Le quatrième point, enfin, commence par aborder le sujet du FLN pour souligner que «le principe de la partialité de l'administration édicté par l'article 23 de la Constitution est mis à mal par le ministre de l'Intérieur qui, avec la bénédiction du chef de l'Etat, exerce un chantage scandaleux sur les élus (...) d'un côté il redouble d'ingéniosité pour entraver les activités de la direction légitime du parti (...) et de l'autre, il autorise sans difficulté les putschistes à tenir leur congrès préparatoire». Concernant le même dossier, l'instrumentalisation de la justice est mise en relief avec, en prime, «les représailles prises à l'encontre des magistrats qui ont refusé de plier...». Sur la base de cas précis dont a eu à prendre connaissance chacun des membres de ce groupe, il est fait état du fait que «la chasse aux cadres ne témoignant pas une allégeance zélée au clan présidentiel tend à se systématiser». L'amertume du constat arrive à l'article 41 de la Constitution qui garantit la liberté d'expression pour dire qu'il a été bafoué «après la suspension qui a frappé plusieurs titres (suivie par le fait que) des journalistes subissent un harcèlement policier et judiciaire pour avoir osé dénoncer les dérives mafieuses de certains hauts responsables et la prévarication dont ils se rendent coupables». La presse publique, elle, ne respecte que peu ou prou l'article 10 de la loi relative à l'information qui, pourtant, leur fait obligation d'assurer un «égal accès à l'expression des courants d'opinion et de pensées». Il est également relevé la manière absolument illégale avec laquelle des partis comme Wafa de Taleb et FD de Ghozali sont «boycottés» par l'administration, alors qu'aux termes de la loi, ces deux formations politiques devraient activer de la manière la plus officielle qui soit. Les cas du CLA et du Cnapest sont, eux aussi, remis sur le tapis pour montrer que là encore il y a eu transgression de la Constitution à travers son article 56. Enfin, la radiation des indus élus, comme il avait été relevé initialement par le groupe, constitue «une violence sans précédent contre la Constitution et les lois de la République». Il est vrai que le document, indiquent des sources, a été soumis à un constitutionnaliste, qui n'y a rien trouvé à redire, sauf que chacun des points soulevés aurait nécessité à lui seul des développements sur plusieurs pages tant les dépassements constatés «sont nombreux et inadmissibles». Le document, a-t-on pu apprendre, hier, a été transmis le même jour à l'armée, le sénat et l'APN. Il a également été remis aux représentants de l'ONU, l'UA, les USA et l'Union européenne. S'il n'en est pas attendu des réponses immédiates, il ne fait aucun doute que cette offensive reste la plus importante depuis le fameux manifeste des onze. Il s'agit, en effet, indiquent nos sources, d'une réplique aux «appels faux lancés par Bouteflika comme vient de le relever une ONG américaine donnant le la de ce que sera bientôt la réponse de Washington». Ce n'est pas un hasard, dès lors, si le mémorandum souligne en conclusion que «les dangers qui menacent le pays sont d'autant plus graves que les multiples violations de la Constitution commises ou parrainées par le chef de l'Etat semblent s'accélérer à mesure que se rapproche la date du scrutin présidentiel».