Moins d'une année après la première visite en octobre 2003 du président Bouteflika en Iran, la première d'un chef d'Etat algérien après une brouille de sept années, et la normalisation des relations diplomatiques entre les deux pays intervenue en septembre 2000, le président iranien Mohammad Khatami entame à partir d'aujourd'hui une visite officielle dans notre pays à l'invitation du président Bouteflika. C'est un Président en fin de mandat que l'Algérie accueille la prochaine élection présidentielle est prévue en 2005, un Président qui aura cumulé deux mandats successifs à la tête de la présidence de la République islamique d'Iran sous l'étendard du courant réformateur. Arrivé triomphalement à la tête de l'Etat en 1997 à l'issue d'une élection qui avait provoqué un véritable séisme politique en Iran, Khatami avait réussi le tour de force de damer le pion au puissant courant conservateur dont un de ses représentants les plus en vue, Hachemi Rafsandjani, était un candidat malheureux dans la course électorale. Son élection avait été saluée par la communauté internationale et principalement par les pays européens ainsi que par les Etats-Unis comme un signe de renouveau démocratique de l'Iran, dont on commençait à désespérer après l'instauration en 1979 de la révolution islamique et de ses conséquences. Au plan externe, avec l'embargo décrété contre le pays, et au plan interne, avec la chape de plomb qui s'est abattue sur les libertés individuelles et collectives à l'ombre de ce régime. Khatami et son programme de réformes ne pouvaient donc qu'être accueillis avec des préjugés favorables par toutes les forces à l'intérieur comme à l'extérieur du pays qui ne pouvaient pas continuer à croire qu'un pays au confluent de plusieurs civilisations, qui comptait parmi les puissances industrielles de la région, demeurât à la traîne du développement et du progrès sous toutes ses formes. C'est ainsi que s'enclencha « le dialogue critique » de l'Europe avec l'Iran et que des frémissements furent enregistrés du côté américain, ennemi juré des mollahs iraniens, qui s'est évertué à envoyer des signaux en direction des nouveaux dirigeants iraniens sans pour autant que toutes ces tentatives de décrisper les relations avec l'une et l'autre partie ne débouchèrent sur une normalisation des relations politiques. Au plan extérieur, Khatami était mal servi pour avoir hérité d'un dossier le nucléaire qui a contribué à accentuer l'isolement politique et diplomatique de l'Iran, comme cela s'est vérifié avec les dernières résolutions du Conseil de sécurité qui avaient épinglé sans ménagement l'Iran. Il est vrai qu'après le précédent irakien et la manière avec laquelle le conflit avait été traité, la menace nucléaire n'a plus le même impact de nos jours. Le spectre de la bombe nucléaire islamique, qui avait accompagné l'instauration de la République islamique en Iran, a fait son temps. Pour les Européens et les Américains, il apparaissait clairement que Khatami, qui avait soulevé un immense espoir avec son programme de réformes et ses engagements pour rouvrir le pays sur le monde, a montré au cours de ses deux mandats successifs son incapacité de peser sur les grandes décisions qui engagent le pays, comme c'est le cas pour ce dossier stratégique. Ce sentiment de s'être trompé de jugement sur l'homme et sur ses capacités réelles à réformer le pays comme il s'y était engagé est conforté par l'absence de combativité et de détermination dont il a fait preuve pour imposer son programme de réformes. Les femmes, les jeunes et les intellectuels, qui avaient cru dans les changements démocratiques promis et les avaient soutenus au prix de lourds sacrifices et de représailles, reprochent aujourd'hui à Khatami d'avoir fait trop de compromis aux conservateurs ; des compromis perçus par beaucoup aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'Iran comme une abdication pure et simple face au système. Avait-il réellement la volonté de réformer le système ou n'était-il qu'un simple alibi du pouvoir théocratique en place, une simple vitrine faussement démocratique destinée à soigner l'image de l'Iran à l'étranger ? Réformes contrôlées Il faut bien connaître les réalités du pouvoir en Iran depuis l'avènement de la République islamique, qui a fait du clergé le centre de décision, pour mesurer la marge de manœuvre laissée par le régime aux institutions du pays dont précisément l'Exécutif. Ni la majorité détenue par le courant réformateur dans les communes ni la majorité parlementaire, qui sont tour à tour passées au cours des derniers scrutins entre les mains des conservateurs qui ont repris le contrôle des Assemblées élues, n'ont permis aux réformateurs de s'affirmer dans les choix décisionnels comme une force politique influente en rapport avec le poids électoral de ce courant. La légitimité populaire de Khatami et de son courant a été battue en brèche par les interférences et la toute puissance du clergé qui aura été un gardien vigilant de la morale islamique prompt à rappeler de la manière la plus sèche le gouvernement et quiconque dans la société qui faillirait à ce principe sacré. Les intellectuels et les journaux réformateurs qui ne l'auront pas compris ont payé lourdement leur soif de liberté. Durant le règne de Khatami le glaive de la justice contrôlée par les conservateurs est tombé de manière implacable sur des universitaires, des éditeurs et des journalistes accusés pour certains du gravissime délit d'apostasie et pour d'autres de délits préfabriqués pour faire taire leur voix ou leurs journaux. La perte de confiance et le désenchantement de pans entiers de la société qui ont cru aux promesses de changement de Khatami se sont accentués au cours de ces derniers mois et notamment à la veille des élections législatives où le président iranien a encaissé sans broncher les coups de boutoir répétés des conservateurs qui avaient multiplié les actes de provocation à l'encontre de son courant en invalidant plus de 2000 candidatures, se rendant ainsi complice d'une déroute annoncée des réformateurs à ce scrutin. A quelques mois de la fin de son second mandat, la moisson de Khatami en termes de réformes apparaît bien maigre comparée aux immenses espoirs que son courant a suscités dans la société. Les quelques rares espaces de liberté arrachés par les réformateurs ou tolérés par le régime en favorisant l'émergence d'une presse et d'un pluralisme rigoureusement contrôlés n'ont pas tardé à être repris par les conservateurs qui ont la main haute sur les institutions clés du régime : au niveau du Conseil constitutionnel, du Conseil de surveillance des élections, du Conseil de discernement chargé d'arbitrer les contentieux entre l'Exécutif et le Parlement, de la justice et au-dessus de toutes ces institutions au niveau du poste le plus élevé du système, celui du guide suprême qui n'est pas seulement une autorité morale. Il intervient et arbitre en dernier ressort les débats qui agitent la société. Au milieu de cet édifice institutionnel où le jeu politique est totalement biaisé, pouvait-il y avoir de la place pour des réformes telles que les envisageait au départ Khatami avant de se rendre à l'évidence que le jeu était fermé, et bien fermé ? La réponse a été donnée par les conservateurs à la faveur des dernières élections.