Pour les chefs militaires, il s'agit d'une tentative désespérée de la part d'un homme dépassé par le cours des événements de se replacer en position de force. Alors que le ministre de l'Intérieur, Noureddine Yazid Zerhouni se lamentait à partir de Bel Abbès sur la brusque poussée de violence terroriste de ces derniers jours, Benhadj était en train de préparer une «initiative de sortie de crise», contenue dans son programme politique de candidat à la présidentielle et dans laquelle, fait nouveau, il propose (point n°8) une médiation entre les autorités et les groupes armés dans les maquis «en vue d'arriver à une solution juste et légitime». En fait, c'est bien la première fois que l'ancien tribun de la jeunesse islamiste urbaine fait une pareille proposition, et même s'il a été conduit par les officiers de police à quitter gentiment le siège du ministère de l'Intérieur et de ne plus y remettre les pieds, il n'en reste pas moins que cette proposition signifie toujours une occasion à saisir pour dépasser la violence armée en Algérie. Frappé des fameux «dix interdits», Benhadj est inéligible pour les autorités. Mieux, après douze ans de détention à la prison militaire de Blida, après avoir transité par Tamanrasset, Tizi Ouzou, etc. Il reste à ce jour, considéré par les responsables de la sécurité intérieure comme un des instigateurs de la violence armée et le maître à penser des groupes islamistes armés. Pourtant, depuis sa sortie de prison, il ne cesse de dire qu'il peut contribuer à arriver à une solution politique, pour peu que les autorités lui laissent les coudées franches. Coup sur coup et le jour même de sa libération, Ali Djeddi et Abdelkader Boukhamkham, affirment que «pour peu que ses libertés lui soient garanties, Benhadj peut avoir son mot à dire dans la sortie de la crise actuelle, comme il peut contribuer à trouver une issue à la violence politique.» Six mois après, Benhadj n'a encore rien fait de concret au sujet des groupes armés. Empêché de le faire, et lui-même encore, en phase de «re-information» (il a des contacts quasiquotidiens avec tous les acteurs politiques et de la vie sociale pour comprendre ce qui s'est passé depuis fin 1994, l'année où le président d'Etat, Liamine Zeroual a décidé de rompre le contact avec le FIS et de considérer le dossier «clos»), il donne l'impression de s'empêtrer, chaque jour, un peu plus dans les éclats épars de ce qui reste de la nébuleuse islamiste du parti dissous. En fait, ce n'est pas tant les interdits qui lui ont été signifiés dans le procès-verbal à sa sortie de la prison militaire de Blida, mais bien les dissensions internes qui ont totalement lézardé la maison. Du parti hégémonique laissé en 1991 (et dissous par voie de justice le 4 mars 1992), il hérite aujourd'hui, d'une structure illégale, atomisée en au moins quatre ou cinq clans adversaires les uns des autres, et surtout d'une réelle volonté de la part de tous les anciens militants et dirigeants du parti, de le voir, seul, lui redonner la vie en attendant la légalité politique. Or, ce qui gêne aujourd'hui le plus Benhadj, c'est bien les actes de violence qui continuent à émailler la vie quotidienne en Algérie de larges taches de sang. Si par le passé, on a pensé que l'action menée par les groupes armés pouvait servir pour faire pression sur le pouvoir et l'emmener à négocier, aujourd'hui, elle constitue le principal motif de discrédit, et Benhadj est le premier à ressentir un tel poids sur son dos. La question qui se pose aujourd'hui est de savoir s'il a toujours un crédit auprès des groupes armés. Peut-il encore influer sur les décisions des chefs? Concernant le GIA, il existe depuis 1996 ; l'époque de Djamel Zitouni, une fetwa dûment prononcée et diffusée faisant de Benhadj un hérétique, un apostat, donc passible de la peine de mort. C'est ce qui a fait dire au chef d'état-major de l'armée, Mohamed Lamari, que des gardes du corps seront proposés à Benhadj, à la veille de sa libération, le 30 juin 2003. Pour les autres groupes armés, notamment le Gspc, lequel s'est scindé en deux groupes adversaires, celui de Hacène Hattab, hégémonique en Kabylie et au Centre, et celui mené par le triumvirat Nabil Sahraoui, Amari Saïfi, Mokhtar Belmokhtar, il n'existe aucun indice qui puisse permettre d'affirmer que le n°2 de l'ex-FIS aura une «écoute positive» avec eux. Pour les chefs militaires, il s'agit là, d'une tentative délibérée et désespérée de la part de Benhadj de se replacer en position de force sur un échiquier qui a réduit l'islamisme politique à un rôle insignifiant.